Forces de l'Habitude et du Rituel
La
force de l'habitude est tellement quotidienne qu'on peut l'endosser comme un
habit, une seconde nature. La force du rituel est tellement fascinante et
attractive, qu'elle est partie intégrante de la vie humaine et intervient dans
la plupart des circonstances de la vie, sous tous les méridiens culturels.
Prenons le temps de porter un regard
taoïste sur ces deux forces, habitudes et rituels, qui vont sans doute bien
au-delà des apparences. Il serait dommage en effet de négliger l'étude,
l'observation rigoureuse des habitudes et des rituels auxquels on se soumet.
Ils constituent le terreau de bien des comportements, de notre dynamique
énergétique en devenir. Il est donc intéressant de s'arrêter sur ce qui peut
les modifier.
Habitude
Selon
la manière relative de voir les choses, chère aux taoïstes, les habitudes
peuvent se situer sur le versant porteur d'une aide sécurisante ou sur le
versant d'une certaine aliénation encombrante.
Sur
le versant de la sécurisation, on ne se pose plus de questions, l'énergie de
l'habitude, mise en œuvre dans l'action se trouve ainsi, ordonnée, mesurée, en
donnant un repère sur lequel on s'appuie pour avancer, à force de la répéter,
elle prend le relais du cerveau et de son registre parasympathique, et devient
une sorte de réflexe conditionné. La répétition facilite les choses parce que
l'on connaît l'effet, l'efficacité et le résultat attendu. A certains moments
elle peut même s'inscrire dans un cycle saisonnier ou servir de repère pour de
bons voisinages et entente sociale. Cette alliée de la volonté et de l'action
s'assimile à une économie d'énergie, et un savoir-faire évident.
L’apprentissage, de quelque discipline que ce
soit, se soumet à la rigueur décapante
de la répétition pour que le geste, la leçon, s’installe comme une habitude. A
la question « comment percevoir l’énergie» ? Le maître en Chi Gong n’aura
d’autres réponses que celle-ci : « pratique, pratique, pratique, et encore
pratique…!» pour bien faire comprendre que la connaissance s'intègre par le
corps. L’intuition qu'une évolution est possible par ce biais, même si elle se
fait par pallier, donne la confiance pour s’engager pleinement dans une action
déterminée et l'acceptation des efforts. L’épreuve de la constance est bien le
préalable de l’habitude. Cette assimilation des données équivaut à la digestion
et à l'ordonnancement de la rate et estomac.
Qu’il
s’agisse des acquis intellectuels, nourriciers ou sociaux la rate et l’estomac
vont faire valoir leurs fonctions : disséquer, décomposer, mélanger, assimiler
les divers éléments pour enfin s’approprier les formes culturelles en une forme
personnalisée propre et habituelle. Les habitudes sont des informations
qualitatives que la rate et estomac apprécient particulièrement.
Mais
pour peu que la rate soit en vide d’énergie, la peur du manque de nourriture
va induire la recherche de l’habitude
plus que celle d’une ouverture à une alimentation variée : nouveaux produits,
goûts différents, nouveaux échanges, nouvelles façons de faire, nouvelles
façons de vivre. Le principe de vouloir rester sur ses acquis pourrait bien
être le témoin de cette peur viscérale du vide et du manque, de perte de ses
habitudes. La peur de l’inattendu, du nouveau, de l’étrange, de l’étranger font
obstacle à la créativité. Refuser d’écouter cette donnée met en échec tout
effort de transformation. L’habitude peut devenir un piège, un enferment
obsessionnel. Toutes les addictions, jeux drogues, alcool, sexe, etc.… ne sont
que le reflet externe d’une angoisse existentielle interne, la peur d'un grand
vide du cœur et de la rate. A des degrés différents, l'habitude fonctionne
comme un véritable rempart contre l'angoisse ; si elle n'existe plus, une
panique indescriptible et incontrôlable prend le dessus. Cette souffrance se manifeste dans les
« troubles obsessionnels du comportement », l'autisme ou les grandes
psychoses.
Pour
peu que l’énergie soit en stagnation, l’habitude prend les couleurs de l’ennui,
de la routine désabusée. L'habitude de gestes répétitifs pour combler un vide
donnera l’illusion d’une sécurisation qui ne sera en fait qu’une aliénation de
non-vie, une sorte d’inertie familiale, culturelle, sociale. Le brouhaha
télévisuel qui s'invite à chaque repas, comme un antidote de l'ennui, n'est pas
une preuve de communication et de dialogue entre les partenaires familiaux, ni
d'un enrichissement intellectuel.
Pour
peu que l'énergie de la rate estomac soit en excès, l'habitude prend la forme
de l'arrogance et du mépris, de la suffisance, imbus d'un pouvoir improprement
possédé, ne reconnaissant plus la richesse de la différence. La rate et
l'estomac, forts de leurs stockages inconsidérés, méprisent l'équité et la
distribution de l'énergie. Cette fonction noble et primordiale de cet organe
est tout simplement détournée au détriment des autres organes. En
correspondance avec cette rate individuelle qui se dilate, le collectif en
pâtis : tout lien social qui devrait être solidaire, devient occasion
d'asservissement de ceux qui ne sont pas dans ces habitudes auxquelles chacun
devrait se soumettre.
Changer ses habitudes
Un autre piège de l’habitude serait de considérer
celle-ci comme une donnée innée voire éternelle, alors que lepassage même
confortable est toujours transitoire. Si elle est peut être considérée comme
une force d’adaptation et de facilitation, elle doit rester à ce niveau. Elle
s'avère opérante dans un contexte particulier. Une habitude se détruit
d’elle-même si elle en reste au stade de l’habitude, elle se pervertit par la
perte de sens. Elle doit sans cesse être remise en cause. La transformation, la mobilisation de
l’énergie, le mouvement frappent à la porte de la conscience vitale. L’habitude
personnelle, familiale, sociale, tellement inscrite qu’elle devient force de
loi, devrait bien se laisser interroger sur ses principes de support d'une
évolution progressive ou d'un renforcement d’une aliénation. Qu'il s'agisse de
l'habitude du dialogue sous ses différentes expressions, de l'habitude à
supporter la souffrance ou la misère, de l'habitude de faire du zèle, de
l'habitude du déni de la réalité, de l'habitude de tout changer à toute vitesse
sans explications, de l'habitude de la plainte, du désespoir, de l’agressivité,
de la violence, de la dépendance, tous ces « acquis » ne sont pas
forcément des amis de la liberté, de la structuration d'une paix intérieure.
Quand
les habitudes deviennent des éteignoirs, de vie, d'objectifs à atteindre quand
profondément la conscience se sent prise au piège d'une non-conformité avec ce
qu'elle devrait être, alors il est grand temps de les changer. Or ce sont
précisément les habitudes qui manifestent le plus de réticence et de résistance
à la transformation, d'autant que certaines remontent assez loin dans le temps,
et plus on a tardé à les mettre en cause, plus elles sont tenaces. Le fait de
savoir qu'une habitude ne convient plus, la raison, une fois éclairée, ne
suffit pas à s'en détacher, tellement les tissus en sont imprégnés. Bien
qu'elles ne se réduisent pas à une simple problématique d'habitude, la cigarette
et la bouteille, le téléphone portable, le jeu, les faits et gestes quotidiens séduisent tout autant, même
après des prises de conscience d'une autodestruction.
Une
réelle stratégie énergétique doit être mise en œuvre pour passer à autre chose.
Certains points d'acupuncture et autre pharmacopée peuvent y aider. Changer une
habitude par une autre ne convient pas (le tabac par la boulimie), tant que
l'émotion initiale qui a induit cette habitude n'est pas touchée du doigt. Dans
notre contexte occidental, on oublie trop la force du rituel comme élément de
transformation.
L'acte initiatique
du rituel.
Comment cela est-il possible ? Paradoxalement, c'est
sans doute par un rituel que le cœur, et donc tout l'être peut retrouver sa
force de contrôle sur les mauvaises
habitudes que la rate a acquise. Le rituel ne peut être confondu à une
habitude, il va bien au-delà. Ritualiser les habitudes permet de les
transcender et de les transformer : « tout corps participant à une action
cyclique prolongée et répétée se transmute en se purifiant » dans « le Corps
Taoïste »Kristofer Schipper prêtre
Taoïste
Un
cadre, dans un endroit et un temps précis, rassemblant un petit nombre dans le
but de déposer de mauvaises habitudes aliénantes, confère à ce regroupement de
personnes, une énergie, une capacité thérapeutique en soi, dès lors que la
règle du respect, du non jugement est codifiée.
La
force du rituel rétablit un cadre sécurisant, qui permet à l'inconscient, à l'intime
du cœur, de s'exprimer, et à une énergie nouvelle de s'instaurer. Le rituel fonctionne
comme les reins qui portent les forces d’endurance, lieu d'épuration qui met en
lumière le principe même de la vie. En lui-même, le rituel est porteur de
renouveau. Le rituel situé dans un
contexte sacralise l'individuel et le collectif. Il officie une fonction de
lien, lien entre les organes eux-mêmes, entre la personne et son entourage,
entre le passé et le présent, entre le présent et son propre avenir, entre les
ancêtres et les descendants, entre l'intérieur et l'extérieur, il relie la
naissance et la mort, les points cardinaux et le tout. Il sécurise et donne la
notion d'apprivoisements des forces qui nous dépassent. Le rituel permet de
nommer des limites et de concentrer, tout en faisant circuler l'énergie et en
la libérant, il nous fait rentrer dans un univers émotionnel particulier, comme
le font les poumons dans la cage thoracique.
Dans
ce cadre nécessaire, l'émotion perturbatrice va pouvoir se laisser vivre pour
être portée vers sa mutation, et l'énergie vitale va ainsi pouvoir reprendre tous ses droits,
retrouver toute sa force d'expression.
L'utilisation des symboles amplifie et signifie la prise en compte de la
souffrance. Ce cadre sécurisant permet aussi d'accueillir l’émergence de
l’énergie dans sa pureté. Cette énergie issue des profondeurs, vient dont on ne
sait où... de l'inconscient pour certains, des dieux pour d'autres. Elle
devient « miracle », ou « révélation », une sorte de grande illumination, faute de
pouvoir expliquer la force de cette énergie, tellement la concentration d'énergie
puissante peut être guérissante. Elle peut même se traduire par de l’écriture
médiumnique et spontanée, de la transe ou une manifestation onirique comme une
véritable inspiration. Cet espace prend le caractère d'une aire sacrée du fait
de cette intensité.
Le symbole et
la force du symbole, dans ce cadre, donne forme à une nouvelle réalité un sens,
un sens porté à sa densité extrême. Le rituel est l’art de la forme. Plus le
rituel sera complet, c'est à dire pouvant regrouper des moyens d'expressions
variées tels que danses spontanées,
musiques, images, la peinture, le dessin, l'argile ou autre support, mais aussi
des pratiques corporelles orchestrées, Chi Gong, Tai Chi, massage et magnétisme
Taoïste ainsi que des manifestations des souffles par des chants ou vocalises
spécifiques, théâtralisations symboliques, plus son effet sera puissant et
durable. La déposition d'un mal-être dans ce contexte collectif du rituel,
laisse place à cette énergie qui touche et émeut profondément le cœur et les
reins. La conscience d'appartenir à un « ensemble », dans une
connivence sociale réunifie le corps et le corps social. Œuvrer à son
perfectionnement par une action consciente et pertinente, dans un cadre
spécifiquement élaboré pour cela, ennoblit le cœur. C'est en ce sens que le
rite du passage prend toute sa valeur, le passage d'un état de moribond à celui
d'un être un peu plus joyeux, léger et rayonnant, donc un peu plus conscient de
sa place. Le corps ainsi unifié en son microcosme rejoint l'harmonie du cosmos,
macrocosme, la culture de soi dans le sens de l’ordre cosmique. C'est sans
doute pour cela que les temples sont si fédérateurs d'une communauté. Mais
s'est aussi par ce caractère commun et universel à tout être que les temples ne
peuvent être la propriété de quelques-uns au bénéfice d'un dieu... recevant
pour le coup, des offrandes biens humaines... L'habitude de l'appropriation
mercantile du rituel peut malheureusement lui en faire perdre le sens !