mercredi 22 mai 2019

Forces de l'Habitude et du Rituel



Forces de l'Habitude et du Rituel




La force de l'habitude est tellement quotidienne qu'on peut l'endosser comme un habit, une seconde nature. La force du rituel est tellement fascinante et attractive, qu'elle est partie intégrante de la vie humaine et intervient dans la plupart des circonstances de la vie, sous tous les méridiens culturels. Prenons le temps de  porter un regard taoïste sur ces deux forces, habitudes et rituels, qui vont sans doute bien au-delà des apparences. Il serait dommage en effet de négliger l'étude, l'observation rigoureuse des habitudes et des rituels auxquels on se soumet. Ils constituent le terreau de bien des comportements, de notre dynamique énergétique en devenir. Il est donc intéressant de s'arrêter sur ce qui peut les modifier.


Habitude
Selon la manière relative de voir les choses, chère aux taoïstes, les habitudes peuvent se situer sur le versant porteur d'une aide sécurisante ou sur le versant d'une certaine aliénation encombrante.
Sur le versant de la sécurisation, on ne se pose plus de questions, l'énergie de l'habitude, mise en œuvre dans l'action se trouve ainsi, ordonnée, mesurée, en donnant un repère sur lequel on s'appuie pour avancer, à force de la répéter, elle prend le relais du cerveau et de son registre parasympathique, et devient une sorte de réflexe conditionné. La répétition facilite les choses parce que l'on connaît l'effet, l'efficacité et le résultat attendu. A certains moments elle peut même s'inscrire dans un cycle saisonnier ou servir de repère pour de bons voisinages et entente sociale. Cette alliée de la volonté et de l'action s'assimile à une économie d'énergie, et un savoir-faire évident.

L’apprentissage, de quelque discipline que ce soit,  se soumet à la rigueur décapante de la répétition pour que le geste, la leçon, s’installe comme une habitude. A la question « comment percevoir l’énergie» ? Le maître en Chi Gong n’aura d’autres réponses que celle-ci : « pratique, pratique, pratique, et encore pratique…!» pour bien faire comprendre que la connaissance s'intègre par le corps. L’intuition qu'une évolution est possible par ce biais, même si elle se fait par pallier, donne la confiance pour s’engager pleinement dans une action déterminée et l'acceptation des efforts. L’épreuve de la constance est bien le préalable de l’habitude. Cette assimilation des données équivaut à la digestion et à l'ordonnancement de la rate et estomac.
Qu’il s’agisse des acquis intellectuels, nourriciers ou sociaux la rate et l’estomac vont faire valoir leurs fonctions : disséquer, décomposer, mélanger, assimiler les divers éléments pour enfin s’approprier les formes culturelles en une forme personnalisée propre et habituelle. Les habitudes sont des informations qualitatives que la rate et estomac apprécient particulièrement.
Mais pour peu que la rate soit en vide d’énergie, la peur du manque de nourriture va  induire la recherche de l’habitude plus que celle d’une ouverture à une alimentation variée : nouveaux produits, goûts différents, nouveaux échanges, nouvelles façons de faire, nouvelles façons de vivre. Le principe de vouloir rester sur ses acquis pourrait bien être le témoin de cette peur viscérale du vide et du manque, de perte de ses habitudes. La peur de l’inattendu, du nouveau, de l’étrange, de l’étranger font obstacle à la créativité. Refuser d’écouter cette donnée met en échec tout effort de transformation. L’habitude peut devenir un piège, un enferment obsessionnel. Toutes les addictions, jeux drogues, alcool, sexe, etc.… ne sont que le reflet externe d’une angoisse existentielle interne, la peur d'un grand vide du cœur et de la rate. A des degrés différents, l'habitude fonctionne comme un véritable rempart contre l'angoisse ; si elle n'existe plus, une panique indescriptible et incontrôlable prend le dessus. Cette  souffrance se manifeste dans les « troubles obsessionnels du comportement », l'autisme ou les grandes psychoses.
Pour peu que l’énergie soit en stagnation, l’habitude prend les couleurs de l’ennui, de la routine désabusée. L'habitude de gestes répétitifs pour combler un vide donnera l’illusion d’une sécurisation qui ne sera en fait qu’une aliénation de non-vie, une sorte d’inertie familiale, culturelle, sociale. Le brouhaha télévisuel qui s'invite à chaque repas, comme un antidote de l'ennui, n'est pas une preuve de communication et de dialogue entre les partenaires familiaux, ni d'un enrichissement intellectuel.
Pour peu que l'énergie de la rate estomac soit en excès, l'habitude prend la forme de l'arrogance et du mépris, de la suffisance, imbus d'un pouvoir improprement possédé, ne reconnaissant plus la richesse de la différence. La rate et l'estomac, forts de leurs stockages inconsidérés, méprisent l'équité et la distribution de l'énergie. Cette fonction noble et primordiale de cet organe est tout simplement détournée au détriment des autres organes. En correspondance avec cette rate individuelle qui se dilate, le collectif en pâtis : tout lien social qui devrait être solidaire, devient occasion d'asservissement de ceux qui ne sont pas dans ces habitudes auxquelles chacun devrait se soumettre.


Changer ses habitudes
Un autre piège de l’habitude serait de considérer celle-ci comme une donnée innée voire éternelle, alors que lepassage même confortable est toujours transitoire. Si elle est peut être considérée comme une force d’adaptation et de facilitation, elle doit rester à ce niveau. Elle s'avère opérante dans un contexte particulier. Une habitude se détruit d’elle-même si elle en reste au stade de l’habitude, elle se pervertit par la perte de sens. Elle doit sans cesse être remise en cause.  La transformation, la mobilisation de l’énergie, le mouvement frappent à la porte de la conscience vitale. L’habitude personnelle, familiale, sociale, tellement inscrite qu’elle devient force de loi, devrait bien se laisser interroger sur ses principes de support d'une évolution progressive ou d'un renforcement d’une aliénation. Qu'il s'agisse de l'habitude du dialogue sous ses différentes expressions, de l'habitude à supporter la souffrance ou la misère, de l'habitude de faire du zèle, de l'habitude du déni de la réalité, de l'habitude de tout changer à toute vitesse sans explications, de l'habitude de la plainte, du désespoir, de l’agressivité, de la violence, de la dépendance, tous ces « acquis » ne sont pas forcément des amis de la liberté, de la structuration d'une paix intérieure.
Quand les habitudes deviennent des éteignoirs, de vie, d'objectifs à atteindre quand profondément la conscience se sent prise au piège d'une non-conformité avec ce qu'elle devrait être, alors il est grand temps de les changer. Or ce sont précisément les habitudes qui manifestent le plus de réticence et de résistance à la transformation, d'autant que certaines remontent assez loin dans le temps, et plus on a tardé à les mettre en cause, plus elles sont tenaces. Le fait de savoir qu'une habitude ne convient plus, la raison, une fois éclairée, ne suffit pas à s'en détacher, tellement les tissus en sont imprégnés. Bien qu'elles ne se réduisent pas à une simple problématique d'habitude, la cigarette et la bouteille, le téléphone portable, le jeu, les faits et  gestes quotidiens séduisent tout autant, même après des prises de conscience d'une autodestruction.
Une réelle stratégie énergétique doit être mise en œuvre pour passer à autre chose. Certains points d'acupuncture et autre pharmacopée peuvent y aider. Changer une habitude par une autre ne convient pas (le tabac par la boulimie), tant que l'émotion initiale qui a induit cette habitude n'est pas touchée du doigt. Dans notre contexte occidental, on oublie trop la force du rituel comme élément de transformation.

L'acte initiatique  du rituel.
Comment cela est-il possible ? Paradoxalement, c'est sans doute par un rituel que le cœur, et donc tout l'être peut retrouver sa force de contrôle sur  les mauvaises habitudes que la rate a acquise. Le rituel ne peut être confondu à une habitude, il va bien au-delà. Ritualiser les habitudes permet de les transcender et de les transformer : « tout corps participant à une action cyclique prolongée et répétée se transmute en se purifiant » dans « le Corps Taoïste »Kristofer  Schipper prêtre Taoïste  
Un cadre, dans un endroit et un temps précis, rassemblant un petit nombre dans le but de déposer de mauvaises habitudes aliénantes, confère à ce regroupement de personnes, une énergie, une capacité thérapeutique en soi, dès lors que la règle du respect, du non jugement est codifiée.

La force du rituel rétablit un cadre sécurisant, qui permet à l'inconscient, à l'intime du cœur, de s'exprimer, et à une énergie nouvelle de s'instaurer. Le rituel fonctionne comme les reins qui portent les forces d’endurance, lieu d'épuration qui met en lumière le principe même de la vie. En lui-même, le rituel est porteur de renouveau.  Le rituel situé dans un contexte sacralise l'individuel et le collectif. Il officie une fonction de lien, lien entre les organes eux-mêmes, entre la personne et son entourage, entre le passé et le présent, entre le présent et son propre avenir, entre les ancêtres et les descendants, entre l'intérieur et l'extérieur, il relie la naissance et la mort, les points cardinaux et le tout. Il sécurise et donne la notion d'apprivoisements des forces qui nous dépassent. Le rituel permet de nommer des limites et de concentrer, tout en faisant circuler l'énergie et en la libérant, il nous fait rentrer dans un univers émotionnel particulier, comme le font les poumons dans la cage thoracique.

Dans ce cadre nécessaire, l'émotion perturbatrice va pouvoir se laisser vivre pour être portée vers sa mutation, et l'énergie vitale va ainsi  pouvoir reprendre tous ses droits, retrouver  toute sa force d'expression. L'utilisation des symboles amplifie et signifie la prise en compte de la souffrance. Ce cadre sécurisant permet aussi d'accueillir l’émergence de l’énergie dans sa pureté. Cette énergie issue des profondeurs, vient dont on ne sait où... de l'inconscient pour certains, des dieux pour d'autres. Elle devient « miracle », ou « révélation », une  sorte de grande illumination, faute de pouvoir expliquer la force de cette énergie, tellement la concentration d'énergie puissante peut être guérissante. Elle peut même se traduire par de l’écriture médiumnique et spontanée, de la transe ou une manifestation onirique comme une véritable inspiration. Cet espace prend le caractère d'une aire sacrée du fait de cette intensité.

 Le symbole et la force du symbole, dans ce cadre, donne forme à une nouvelle réalité un sens, un sens porté à sa densité extrême. Le rituel est l’art de la forme. Plus le rituel sera complet, c'est à dire pouvant regrouper des moyens d'expressions variées tels que  danses spontanées, musiques, images, la peinture, le dessin, l'argile ou autre support, mais aussi des pratiques corporelles orchestrées, Chi Gong, Tai Chi, massage et magnétisme Taoïste ainsi que des manifestations des souffles par des chants ou vocalises spécifiques, théâtralisations symboliques, plus son effet sera puissant et durable. La déposition d'un mal-être dans ce contexte collectif du rituel, laisse place à cette énergie qui touche et émeut profondément le cœur et les reins. La conscience d'appartenir à un « ensemble », dans une connivence sociale réunifie le corps et le corps social. Œuvrer à son perfectionnement par une action consciente et pertinente, dans un cadre spécifiquement élaboré pour cela, ennoblit le cœur. C'est en ce sens que le rite du passage prend toute sa valeur, le passage d'un état de moribond à celui d'un être un peu plus joyeux, léger et rayonnant, donc un peu plus conscient de sa place. Le corps ainsi unifié en son microcosme rejoint l'harmonie du cosmos, macrocosme, la culture de soi dans le sens de l’ordre cosmique. C'est sans doute pour cela que les temples sont si fédérateurs d'une communauté. Mais s'est aussi par ce caractère commun et universel à tout être que les temples ne peuvent être la propriété de quelques-uns au bénéfice d'un dieu... recevant pour le coup, des offrandes biens humaines... L'habitude de l'appropriation mercantile du rituel peut malheureusement lui en faire perdre le sens !