mercredi 6 novembre 2019

L'alchimie taoïste de l'incarnation spirituelle : mouvement et pensée.

L'alchimie taoïste
de l'incarnation spirituelle :
mouvement et pensée.

           Mouvement du corps, mouvement individuel ou collectif, mouvement du tai chi, mouvements et gestes d'un code social, d'une danse, d'un sport, d'un travail… action du cerveau sur un mouvement ou action du mouvement sur le cerveau ; l'un ou l'autre peut être étudié séparément. Il est rarement fait état du lien interactif et correctif entre pensée et mouvement. Les mouvements de Qi-gong ont pourtant le mérite d'associer par déductions d'observations, le nom d'un animal, qui symbolise au mieux l'attitude correspondante avec l'état mental et psychologique du participant. La naissance d'une idée issue du mouvement ou la création du mouvement issue d'une pensée est un thème intrinsèque à la philosophie taoïste, d'où la référence au mouvement codifié et répertorié comme pouvant devenir un geste guérisseur. La pensée induit le mouvement, le mouvement induit la pensée. L’incidence mutuelle de l’un sur l’autre compose la transformation de l'être. La pensée et mouvement s’interfèrent sans cesse. La structuration de la pensée prend forme et corps par le mouvement. Intéressons nous à cette interaction et à son processus transformationnel.

Du mouvement archaïque à l'émotion subtile

     Certains mouvements possèdent leur régularité naturelle : des battements du coeur, le soufflet des poumons, le clignement des paupières, les spasmes intestinaux, la cadence de la marche, le balancement des bras, le roulement multidirectionnel des yeux et de la tête. Ils assument la fonction instinctive de régulation, de protection des différents organes mais aussi d'intégration dans le social par la communication non-verbale.

     Le visage et les mains, parties les plus dénudées et visibles du corps, visualisent en eux-mêmes les mouvements instinctifs ou volontaires, émetteurs des intentions ou inducteurs de la pensée, lieu de transmutation des émotions. L'acte volontaire intervient quand l'humain utilise cette potentialité pour confirmer l'expression de son être. Les mimiques et les grimaces traduisent la pensée, mais elles la modifient également. Provoquer, par exemple, volontairement le sourire, même si cela paraît artificiel, introduit une pensée positive dans le comportement, tout comme le geste et le mouvement ont la capacité de transformer les émotions. L'émergence de la pensée en adéquation avec le geste amène le sourire involontaire, critère d'excellence en la matière, pour les professeurs de Tai Chi. La lecture des grimaces- colère, fatigue ou abattement, enthousiasme, euphorie, soucis, ou au contraire apaisement se vérifie assez facilement, ces codes individuels et sociaux se voient. La mobilisation volontaire du faciès et la mise en scène des grimaces pour obtenir une transfiguration émotionnelle est non seulement possible mais souhaitable.

      Le Qi Gong ou le yoga des yeux, que certains semblent découvrir seulement maintenant (emdr), montrent bien ce rapport étroit entre le mouvement et la pensée. Non seulement il donne forme à la pensée mais il peut ramener à la conscience des traumatismes anciens pour les appréhender avec moins de frayeur. Les mudras (gestiques des doigts) peuvent être répertoriés également dans cette catégorie de gestes guérisseurs. Le geste et le mouvement est au corps ce que la mimique est au visage. C'est donc tout le corps qui participe à l'élaboration de la pensée et au vécu émotionnel.
« Bouges- toi » : la sagesse du mouvement ente l'inertie et le débordement.
L'inertie, absence de mouvement, colle à la peau de la déprime, tout comme l'agitation, les mouvements excessifs du révolté ou désordonnés de l'alcoolique flirte ave la folie. L'appareil de la mesure, du geste posé et du mouvement harmonieux et donc de la pensée juste, perdent leur nature dans ces cas de figure.

     L'intuition de la maman exacerbée et désespérée de voir son grand adolescent déprimant dans son lit à ne rien faire, est pertinente dans son « allez, bouges-toi, remues-toi, secoues-toi, fais quelque chose » ! et intuitivement l'ado en question, sait que s'il s'exécutait, ses arguments, qui le maintiennent en opposition, ne tiendraient plus.

      Le mouvement a raison d'une pensée rebelle ou tenace. La méthode Coué ne suffit pas. Les thérapies qui évitent de passer par le corps, c'est à dire par le mouvement, par l'énergie, ne privilégiant que l'approche verbale, peuvent s'avérer beaucoup plus longues. Elles favorisent la remontée d'énergie dans la tête au détriment de la mise en forme du shen. Elles font ainsi l'économie d'une expression créative (énergie du bassin) et d'un mouvement porteur (énergie des membres), cette implication risque de rester seulement « mentale », non-incarnée.

Ecouter une plainte est certes salutaire, elle le sera encore plus si le thérapeute propose des gestes ou mouvements et respirations adéquates qui intègre le mal-être, lui donne un peu de force pour être extériorisé, identifié. Il est donc plus facile d'y remédier. La transformation de la souffrance passe par l'alchimie de l'énergie enregistrée par les organes. L'essence même de la souffrance physique ou psychologique en sera modifiée.

Le mouvement : unification et cohérence des trois trésors

     Comment cela est-il possible? La grande solidarité des organes, des méridiens, des viscères et des trois trésors que sont le Shen, représentant la conscience, la pensée, l'intention, le cerveau ; le Qi-souffle représentant les émotions, les affects, la circulation de l'énergie, la poitrine ; le Jing représentant l'essence vitale, le faire, le mouvement, le bassin, leur très grande interdépendance et connivence donc, se consolide mutuellement. Ils se nourrissent les uns et les autres. La pensée a besoin de chaque partie du corps, imbibée d'énergie, de l'intention et du mouvement. Tout cela ne fait qu'un.

     Le mouvement a la particularité de transmettre une certaine chaleur qui dilate les vaisseaux. La fluidité de l'énergie, a de ce fait, une incidence sur la circulation du sang et des neurones. Le mouvement réveille le corps, et en particulier la conscience de l'être, mise en veilleuse dans le tan-tien, lieu énergétique sous le nombril. Selon qu'il va solliciter la partie inférieure, moyenne ou supérieure du corps, l'incidence du mouvement ne sera pas la même sur la conscience. Si la pensée n'est pas en accord avec le mouvement, le décalage se fera sentir entre le dire (expression de la parole ou du regard) et le faire (bassin ou membres). Être en accord avec le mouvement amène à une pensée cohérente et une guérison.

     Le mouvement est essentiellement acquis par la mobilisation des bras, des jambes, du bassin et du souffle. Or curieusement, dans la philosophie taoïste, la pensée est germinée, engrangée par la rate et estomac, tout comme en dépendent... les membres inférieurs et supérieurs, initiateurs du mouvement. La logique qui en découle : le lien évident entre mouvement et pensée, ils sont associés, complices révélateurs et inter-mutants du spectacle de l'être en quête de son absolu. Le grand moment ou tout semble s'accorder pour combler le sentiment d'existence est bien sûr, la véritable chorégraphie de l'orgasme.

     Le jeu du mouvement spontanné, où l'énergie seule, guide le mouvement donne des images et des pensées inattendues, surprenantes, provenant de l'Un-conscient. L'énergie emmagasinée par différentes postures et gestuelles respiratoires, commande le mouvement, lequel à son tour transforme la pensée Le mouvement permet ainsi une évolution personnelle. La gestuelle des mains va contrôler la pensée. La douceur des mouvements de Qi gong ou Tai Chi amèneront la fluidité de la pensée juste, adaptation, constance, pertinence des réponses adéquates : la certitude d'être bien avec soi-même.

Conditions

     Pour être cohérent jusqu'au bout, ce mouvement réparateur doit répondre à certaines conditions. On l'a vu, il doit être imprégné 
          -de Qi, c'est à dire d'une intention, et du souffle, faute de quoi il apparaîtra comme simplement mécanique, vide et creux et dans ce cas il aura un effet pervers sur la pensée qui sera elle aussi, vide et creuse.
         -Le mouvement s'inscrit dans le temps. Il doit être répété comme un mantra, mais cette répétition doit être limitée, pour que l'énergie fasse aboutir toute son efficacité. Par contre si ce mouvement est répété à longueur de journée, il devient aliénant. Il semblerait que dix minutes soient un tempo signifiant pour l’émergence d'une pensée.
         -Le troisième facteur de réussite est l'impératif du repos, tout comme la digestion suit un repas et la nuit suit le jour. Et c'est encore mieux si cette intention, imprégnée de Qi, du mouvement inspirateur-repos est suivi d'une intégration verbale, écrite ou picturale. C'est ce que veut dire une phrase biblique « et le verbe s'est fait chaire ». L'essence de l'être, la parole prend forme, Le shen s'extériorise. La transformation et la régulation des émotions, la véritable spiritualité, passent par le corps pour être comprises, intégrées. La pensée chorégraphiée où mouvement et pensée s'enchevêtrent, prend de la consistance et s'unifie dans son évolution avec le souffle, le Qi. Le mouvement du sourire intérieur crée l'alchimie de l'incarnation spirituelle.

du mouvement à la manipulation sociale

     Contrairement à certains préjugés, il n'est pas nécessaire de passer par la souffrance pour que ce mouvement traduise une pensée claire. Les gestes et mouvements du travail répétitif en excès annihilent la pensée. Les cadences et la compétition ne sont pas des mouvements porteurs d'un développement de la pensée, d'une connaissance de soi, de maîtrise et de maturité, mais au contraire d'un affaiblissement de la conscience. Le mouvement stéréotypé et abusé, induit une pensée esclave, une pensée unique. Le mouvement agité combine la pensée agitée, il brasse du vent. Le méridien vésicule biliaire s'y perd et donc ses capacités de décisions. Mais à l'inverse la pensée agitée ou angoissée provoque le mouvement tout aussi signifiant, tel le mouvement de bascule ou d'agitation des mains chez les psychotiques qui sont une manière de calmer leurs angoisses existentielles.

     L'intensité du mouvement inducteur de la pensée prend évidemment une autre force quand une foule s'en empare. Du mouvement codifié au décryptage du sens, l'espace de la manipulation sociale peut être proche, raison de plus pour affiner le discernement de l'interaction « mouvement corporel-pensée ».
     Le poing fermé va engendrer la colère ; tous ceux qui ne pratiquent toute la journée que ces attitudes guerrières n'attendront qu'une chose : à la moindre occasion en découdre. L'étude sociologique des danses de rue, à la mode, peut permettre de comprendre ses acteurs.
Vague du Holla des supportères est tout aussi mobilisante que certains saluts militaires ou paramilitaires. Le « tendre la main » du mendiant ou n'a pas la même signification psychique que le « lever du poing » du militant.

Mouvement : parole du corps

     Ainsi donc il serait sans doute possible d'établir un dictionnaire du mouvement, celui qui guérit ou celui qui aguerrit, celui qui apaise ou celui qui engendre la transformation, celui qui fait sourire ou qui provoque l'agressivité.

     Outre le fait de l'ouverture des méridiens qui transmet le flux énergétique aux organes la posture des exercices de Qi Gong est hautement symbolique. Et ces symboles rejoignent un langage quasi universel. Si nous proposons des situations mentales en demandant de mimer par le corps et le mouvement, l'expression, il y a de grandes chances que tout le monde comprenne ce langage évocateur, voici quelques exemples non exhaustifs:

« Se sortir de sa médiocrité, se grandir » trouvera facilement sa réponse dans la posture s'imaginant s'aider des mains pour prendre fortement appuis, poignets pliés, en redressant la tête.
« retrouver sa dignité, oser s'affirmer » fera bomber le torse en ouvrant les bras.
« accueillir l'avenir » délèguera la responsabilité aux mains détendues placées devant soi, en les faisant revenir vers la poitrine.
« rejeter ou repousser l'ennemi » impliquera la propulsion vives des bras en avant.
« se donner de l'espace » tendra les bras de chaque côté du corps à l'horizontal comme s'ils poussaient les murs.
« évacuer le stress » pourra se symboliser par des jets des mains, forts et puissants, devant soi vers le sol, répétées de manière ardente pour être persuasives. Les mâchoires et les yeux vont suivre spontanément, en se serrant comme pour mieux se concentrer sur cette évacuation.
« Renforcer son identité » sollicitera les deux poings fermés l'un sur l'autre, comme pour enfoncer une épée d'énergie.

     Ainsi toutes les suggestions suivantes peuvent trouver leur résonance dans un mouvement, que chacun peut s'approprier : « ouvrir son cœur » ; « quitter le passé » ; « accueillir le ciel » ; « s'investir dans un geste de délicatesse » ; « trouver son inspiration » ; « concentrer et densifier son énergie » ; « stabiliser, s'ancrer ». il en est de même si l'on demande de mimer la colère, la peur, l'effrois, l'étonnement, l'enthousiasme

     La mort du grand mime Marceau devrait nous rappeler, par son silence, la constance du lien entre l'intention, le souffle et le mouvement, entre le corps et la pensée, entre les émotions et la fluidité de la vie, rejoignant ainsi la transmission de la philosophie taoïste. Honneur à lui !