samedi 7 novembre 2020

  

Du Passage à l'Acte au Non-Agir

 

Tonnerre de Dieu !

  

Passage à l’acte du ciel, se désencombrant d’une tension électrique énorme, de nuages lourds chargés de noirceurs humides, de polarités incompatibles ;  pacte  entre le ciel et la terre, déséquilibré, dénaturé ou rompu, le tonnerre pourrait bien symboliser nos passages à l’acte d’humains. Éclair du sombre et du clair. Chaque jour nous sommes confrontés à des passages à l'acte d'intensités variables, de diverses natures. Ils font appel à des affects très différents. Observons quelques unes des composantes du passage à l'acte à travers la philosophie taoïste, du plus violent au plus subtil.

 

Passage à l’acte, le «  mal » aimé

En occident, le passage à l'acte a une connotation négative et répréhensible  « L’acteur » passe outre un interdit, transgresse une loi humaine dictée comme souveraine. Le passage à l’acte n’a pas la même valeur selon que  l’on se situe du côté de la société ou du côté de l’individu. Les tribunaux, au nom du vivre ensemble dans la société, fustigent le passage à l’acte violent sans pour autant en saisir tous les  fondements de la composante psychique. La loi serait supposée contrôler les actes insensés.  Comme si la loi par son seul fait d’exister suffisait à supprimer tout passage à l’acte violent. Les prisons sont pleines « d' artistes » fous du passage à l'acte.

 

L’analyse psychiatrique semble aussi dédouaner la société quand l’acting'out est décrypté comme le fait de la seule remise en cause de l’individu, par l’économie d’une symbolisation, de son intolérance à la frustration, d’une fragilité du moi, absence de maîtrise des pulsions. Ce terme frustration peut trouver un écho dans la manifestation de l’enfant roi  tout puissant « qui veut tout, tout de suite, et rien que SA volonté » sans limites des passages à l’acte colérique. Il est seulement à l’image d’une société qui a fait le choix du tout consommable sans limite, de l’exigence égoïste « du rien que pour moi. » Mais cela ne tient plus quand frustration serait la justification de limitation de la pauvreté, ou de la soumission, de la non-réalisation du moi, comme s’il suffisait de symboliser, d’accepter la frustration, la castration et la mort, pour que les choses soient réglées. Cela ne peut devenir une référence en soi. Mais au départ pourquoi cet individu n’a pas pu apprendre les fondements même de sa réalisation?

  Ce n’est pas le lieu ici, de faire  l’étude de toutes les motivations et de la complexité mentale qui pousse quelqu’un au crime, à l’inceste ou à la pédophilie, actes réprimandés par toutes les sociétés, mais sommairement on peut admettre qu’il s’agit d’un cri de sa non-existence, d’une non-reconnaissance, perte d’identité, perte de sa perception corporelle et de son appartenance à une collectivité, absence de lien du cœur avec les autres organes, rapport parentaux défectueux (père absent et mère abusive). Et là où nous en sommes, nous ne pouvons que constater les dégâts d’une non-prise en charge éducative du respect de la vie.

 

 Sans issue ou sens de l’issue

Entre le suicide radical (peu importe le moyen) ou le suicide à petit feu (drogue, alcoolisme) la différence  se trouve dans la répétition de gestes morbides, mais le point commun, semble être la perte de sens, l'impossibilité de résoudre un conflit entre une force provenant de la société en quêtes de règles et l'individu en quête de son identité,  pression externe face à une force interne, souffrance extrême dont la seule issue, pour s’en extraire, resterait la solution de la mort, le sentiment intime de ne pas être respecté (le cœur est souffrant), qui se décline par le sentiment d'esclavage, d'humiliation, d’enfermement, avec l’impossibilité de communiquer ce mal être. Toute la personnalité est emportée et submergée.

 Regardons un instant le passage à l'acte dont la caractéristique est une extériorisation d’énergie violente, fulgurante, inattendue, fugace, avec un effet réel ou imaginaire, de libération, telle une explosion. L'impression d’une libération n'est pas forcément durable dans le temps.

 Le passage à l'acte présuppose une pression sur un organe ou une aspiration de son énergie, et la faillite des quatre autres organes. La fluidité vers l’une des trois portes de sortie, la parole, la sexualité, la créativité en est empêchée ; la bouche est bâillonnée, la sexualité castrée, la créativité annihilée. Ces trois influences correspondent aux trois foyers, foyer supérieur, la conscience ; foyer moyen, les émotions, "l’art du faire juste" ; foyer inférieur, la sexualité. Derrière tout passage à l’acte violent se cache un manque de fluidité vitale, une absence de la parole, d’expression des besoins. Et très souvent, l'organe foie détient la primeur de cette expansion.

 La surchauffe du foie sera prégnante dans les situations d’alcoolisation aiguë et les débordements de vitesse, certains parleront de se « défouler, » d'une décharge d’adrénaline, pour ne pas « pêter les plombs. » Dans la fugue d’un adolescent qui veut s’acquérir un autre territoire, on fait référence également au foie qui cherche son cœur.

 Ce sont les reins qui sont concernés quand l’existence est menacée. Quand ils sont mis en danger, c’est le « courage, fuyons » qui prévaut. Quand une femme battue prend ses enfants pour s'enfuir sans savoir où aller, c'est son élan d’un pas sage, salutaire, de survie, qui la fait passer à l'acte ; une séparation brutale considérée comme l‘issue de secours.

En certaines circonstances deux  ou trois organes seront vidés par l’agression externe, c’est le cas des reins et des poumons dans la situation du harcèlement. Les reins sont aussi usés par l’endurance de l’usure machiavélique de cette relation, les poumons n’arrivent plus à réagir dans leur sauvegarde de fuite instinctive et le foie ne tient plus sa place de combattant et de fin stratège. Les poumons réagiront à l’oppression, au sentiment d’étouffement familial, de claustrophobie. Le vide aspirant au vide du néant, on peut considérer que ces derniers sont mis à mal dans de nombreux passages à l’acte suicidaires. Le manque de Chi aspire à la mort. La détresse invitant le cercle vicieux d’une détresse encore plus grande.

 La rate ne manquera pas de se faire connaître par une peur spécifique face au manque d’argent,  du petit larcin au « casse »  du siècle,  l’avidité fascinera cette convoitise. La haine provoque la haine (manifestant jetant une bouteille et allant se faire fusiller) et le cœur, y répond tout en sachant qu'il se blesse. Le passage à l’acte violent, incohérent, fou, sans objet, fruit d’une incompréhension langagière, commande la bestialité, comme si la force des reins avaient refusé tout le contrôle de la fratrie des organes, cœur, foie, poumons, rates.

 Ce que l'on peut retenir, c'est que le passage à l'acte est en rapport avec une dépense importante d'énergie d’un ou de plusieurs organes ; résultante d'une longue retenue d'énergie faisant office d'une pression accumulée, ou d’une inspiration, devenue insupportable. Les expressions occidentales  : « il me pompe de l’air » - « il me gonfle » - « je n’en peux plus » - « faites quelque chose s’il vous plait » - « il va me rendre fou » - « c’est épuisant » - « il veut me tuer » , laissent transparaître la tension interne, sans doute inutile et la volonté « d’en sortir ». L’intérieur se défend de l’extérieur insupportable. On peut émettre l’hypothèse que derrière chaque type de suicide à sa correspondance avec la manifestation d’un vide d’un organe particulier.

 Face à ces éléments extérieurs qui perturbent la fluidité de l’énergie, (les portes de sorties sont bloquées) on doit faire le constat de l’impuissance de l’intérieur de l’être qui n’a pu se dire. et son absence de contact avec L'Energie fondaùentale. Une barrière du dialogue s'est instaurée. (manifestant avec une barrière) Et plus la parole a été retenue, entravée, déformée plus la manifestation en sera violente et le passage à l'acte démesuré, il en est de même pour  l'énergie sexuelle, ou l'action créatrice. Quand ces trois énergies de l'expression de la personne, parole, sexualité, créativité, sont bafouées,  étouffées, violées, par un contexte social, familial relationnel ou ascétique, le corps se révolte. La réponse à la violence, aux passages à l’acte fou, se trouve donc dans l’écoute, l’écoute et encore l’écoute, le respect de la fluidité de l’énergie. Quand l’autorisation de parler est là dans un contexte et cadre sécurisant, la parole confiante et son essence, retrouve sa fluidité. Cela induit la présence  d' au moins deux interlocuteurs qui soient d’accord sur un minimum de règles du dialogue, ne serait-ce que d’apprendre à repérer ce qui est insupportable avant d’arriver à des chutes extrêmes. Mais on le voit bien, la réorganisation des organes et le renouvellement du Chi, de l’énergie, s’avèrent également indispensables comme  résolution. De plus, l'observation des réponses inadéquates de trop de violence ou d'abdication, face au rouleau compresseur des intrusions en tout genre, s'avère nécessaire pour pouvoir affronter, fuir, adapter, transformer son énergie pour d'autres possibles.

 Passage à l'acte fou au passage à l'acte mesuré

La souffrance provient d'un passage à l'acte non préparé, pour celui qui agit, comme pour celui qui le reçoit. La souffrance est à la mesure de la déflagration d'énergie. Les passions désorganisent la réflexion. Cet événement provoque une déstabilisation des énergies et induit une remise en cause sur tous les registres.

 Cependant le passage à l'acte laisse entrevoir un aspect positif, tel l'orage a pour fonction de clarifier le ciel de son trop plein d'énergies contradictoires, tel le passage à l'acte, aurait aussi cette fonction de clarifier la pensée. Une action trop énergique est quelques fois plus souhaitable à l'absence d’énergie. Se mettre en mouvement est une aventure en soi. Enclencher  une action ou  y mettre un terme est un agir quotidien. C'est en passant à l'acte que l'on trouve ce dont on a besoin, c'est à dire, la  confiance en soi. C'est en passant à l'acte que la « forme » prend naissance, et que celle-ci peut devenir perfectible ; faire l'économie du passage à l'acte est dans ce cas de figure une autodestruction.

 La nécessité du passage à l’acte se fait sentir quand il s’agit de remettre de l’ordre dans un chaos  qui a perduré ou un fonctionnement  usé qui  ne correspond plus à l’objectif signifié (soit dans l'interne personnel, soit dans l'externe collectif, soit dans l'interaction de ces deux paramètres).

 Tout serait donc une question de mesure. Quand on commence à mesurer les conséquences de son acte, on réfléchit à deux fois. Quand un groupe de soldats spécialisés obéissant à une unité de corps ou qu'un groupe de militants obéissant à une unité de valeur, passe à l'attaque l'on suppose que la réflexion a présidé en amont. A l'instar de ces groupes l'individu, obéissant à une unité d'être, peut aussi adopter une véritable stratégie personnelle, pour sa propre défense ou construction.

 Le passage à l'acte a un lien inéluctable avec le facteur de décision personnelle. Le passage à l'acte induit autonomie, responsabilité, liberté. L'autonomie individuelle nous invite au contraire à passer à l'acte pour se nommer, se distinguer,  marquer notre originalité individuelle personnelle  « notre yin et yang, un parmi les milles ». L’objectif étant l’extériorisation d’une ferme intention de la force interne pour l’accomplissement cohérent de son expression et la nécessité de la transformation de l’environnement ; ce qui suppose préparation, regroupement d’informations, réflexions, méditations, prises de décisions, et déterminations. Autrement dit le passage à l'acte positif contient en lui-même, la capacité à percevoir son taux énergétique de ses cinq organes, de ses méridiens, de ses trois foyers, de l'appréhension de l'évènement extérieur et de l'adéquation de la réponse énergétique. Une décision longuement réfléchie aboutit forcément à un moment ou à un autre à une ré-solution, quand c'est le moment, quand les choses sont mûres, avec le juste dosage. Pas assez d'énergie et le résultat est un coup d'épée dans l'eau, pas au bon moment, le résultat donne l'impression d'un avortement ou d’un faux départ, trop tard, l'énergie a déjà subit des préjudices pour sa santé ; une formation d'une longue durée qui comble un manque de confiance en soi perverti l'action et engendre la peur (cueillir les fruits à la bonne saison, si non ils pourrissent). Trop fort le passage à l'acte provoque de la casse, inertie et  le manque du passage à l’acte va induire du regret.

 Ce qui manque dans le passage à l'acte violent c'est précisément la confiance dans son énergie, dans le temps, dans l'aboutissement d'un résultat positif. C'est alors le contrôle de cette énergie et l'apprentissage de celui-ci qui est donc valorisé.

 Sans l'apprentissage du contrôle de soi, la loi peut n'avoir aucun effet. Investir sur l'apprentissage du contrôle de soi, de la mesure du passage à l'acte aurait des chances d'une grande prévention, à tous les niveaux, apparemment ce n'est pas le choix social qui est fait. Cet apprentissage du dosage de l’énergie pour différents types de mise en forme de son énergie, passe par la définition des limites personnelles et collectives et par l’apprentissage du dialogue et de la créativité.

 

Passage à l'acte Zen

 

Le passage à l'acte doit être en adéquation avec le jing, ( la nécessité) le chi (la force suffisante) et le shen (la conscience de devoir agir pour la bonne cause). Le passage à l'acte est lié, défini par le registre des volontés et de l'objectif à atteindre.

 

Le passage à l'acte mobilise les cinq organes les reins sur lesquels repose la qualité du mouvement dans sa fluidité ; le foie (ministre de la défense) dans le fait de voir et de désirer le but avec son complice (vésicule biliaire général des armées) qui va exécuter la décision ; la rate dans le fait de la raison, de la définition du but, du moment, de la stratégie à adopter ; les poumons dans la capacité à engranger de l'énergie ; le coeur pour garantir la correspondance entre son identité et  l'environnement extérieur, tout en assumant le calme dans l'action. Une faille dans ce bel ensemble et c'est la pathologie de l'action. Chaque passage à l'acte sollicite plus ou moins tel ou tel organe.

 Le passage à l’acte courageux (Nelson Mandela) qui dérange, la révolte contre les abus de pouvoirs est un signe de bonne santé, fera appel à toutes ces notions mais aussi à la prévention de savoir comment accumuler de l'énergie, la renforcer, la distiller, la transmettre.

 Le passage à l’acte qui sait attendre, endurer, stabiliser, augmenter, embellir, émouvoir aura plus de force dans sa mesure, sa densité, sa  lenteur apparente. Le passage à l’acte qui se contente seulement de défouler un trop plein d’énergie est une ineptie et un gaspillage. Et pourtant nombreux sont les lieux qui favorisent cette règle de ce drôle de jeu. Plus le passage à l’acte est subtile en utilisant la moindre force, plus l’effet est puissant et efficient, tel une allumette qui peut créer un incendie.

Son objet s’impose et sans effort de volontarisme, son effet est aussi pertinent dans la réalité qu’un tableau qui s’expose. La méditation serait-elle la subtilité suprême de l'action ?

 Toute l'étude du Yi King, le grand Livre de la transformation nous invite à regarder de près le rapport nécessaire entre l’énergie et le passage à l'acte. Il n’est que cela, Fin stratège du passage à l‘acte. La  mesure de l'énergie pour passer à l'acte au bon moment avec l'énergie juste pour accomplir son œuvre précieuse, dans l'accompagnement de son destin, tout en sachant qu'agir ou ne pas agir a forcément des conséquences dont on ne mesure pas tous les paramètres. Faire pour le mieux sans attendre de résultat. Puisse cette réflexion inviter le lecteur à s'y plonger avec douceur.