L'errance
mentale
vue par un taoïste occidental
Entre les
méditants qui recherchent " des états modifiés de
conscience ", l'usage de
mélanges de toute sortes ou antidépresseurs, légalisés ou non, invitant
à des voyages hors normes ou d'autres distractions commerciales pour aller voir
ailleurs, sans scrupule sur le contenu proposé,
l'éclairage de la philosophie taoïste apporte une acuité particulièrement actuelle sur
l'errance mentale, comme phénomène social ; imposant par la masse d'individus,
interrogeant quant à la conscience d'être soi. Entre celui qui se cherche et
celui qui ne sait où aller, la recherche d'un ailleurs paraît forcément meilleure !
Certes, la voie du Tao nous rappelle que chacun gère son destin de
la manière dont il l'entend, mais il nous rappelle aussi que chacun doit tenir
les rênes de sa vie, sans se laisser ballotter, sans perdre le sens de
celle-ci.
l'errance
mentale due à une non-communication.
Selon le chII Du suwen, l'errance mentale
intervient quand il y a rupture de communication avec des référents qui n'ont
pas été respectés. Les préceptes taoïstes nous orientent vers la conception d'une bonne santé, lien entre
toute chose, unification du corps dans un ensemble cohérent : les cinq organes
et leurs fameuses correspondances, entre autre à celle des saisons et
intersaison. Si par l'effet de l'homme, les saisons s'emballent, le non sens,
la fragilité des consciences apparaît entre les humains, les esprits
s'échauffent ou se perdent à l'instar des éclipses de soleil, les consciences
ne sont plus lumineuses, elles perdent le nord. Au même titre que les animaux
et la nature, l'homme ne s'y reconnaît plus. L'expansion d'un marché économique
forcené comme autant de territoires à acquérir malmène et provoquent les foies individuels
et leur désir de créativité. Sans créativité le feu du foie va s'enflammer
comme un feu de paille dans des actions incongrues. Les volontés de défier la
poussée des choses, perturbent l'équilibre naturel. Les courses après le temps
dérèglent la pendule des thyroïdes, pour
laisser place à des " bouffées de chaleurs " ou à
des sauts d'humeur destructeurs, " le ciel se renverse, la terre se
retourne ". Les vents ne viennent plus mettre de l'ordre dans les
semences mais détruisent tout sur leur passage enclenchant une cascade de
désastres.
Si les
cinq organes n'ont plus de contact entre eux, le masculin et le féminin n'ont
plus de correspondance, le masculin reste en quête perpétuelle du féminin, le
féminin désespère d'attendre le masculin, solitude de l'action incomprise, ou
créativité et fécondité non reconnue. L'attente de la complétude inassouvie, la
frustration de l'inachevé, le vide total entre le foie et le cœur font
souffrir. La fuite de cette souffrance pourrait bien être l'échappatoire d'une
situation intenable, pour se rendre compte, dans l'errance, que celui-ci est
encore un échappatoire à l'essentiel, le manquement à la communication. Le vide
de reins hésitent entre la fuite et le
dégoût de la vie. La rate et l'estomac mal nourris vont penser sans la raison.
Le shen, qu'abrite le cœur, recherche fondamentalement le calme ; pour se
protéger des agressions externes il va esquiver la situation douloureuse au
risque de se retrouver dans une autre impasse, la perte de racines.
" Il
est ailleurs, perdu dans ses pensées " ; " il n'a plus les
pieds sur terre "; " il a perdu la tête " ;
" il n'a plus la tête sur les épaules " ; " il
divague " ; " il dit n'importe quoi "
Le
point 3 rate (nommé " le plus
blanc ") et le 4 rate (nommé " entre grand père et petit
fils ") en acupuncture sont les points signifiants de la prise de
terre, comme s'il était temps de
reprendre contact avec la réalité, humain entre les anciens et les enfants ou petits enfants, chaînon parmi les
chaînons. Le massage régulier de ces points, seraient-il une bonne prévention à
l'errance mentale? Vaste programme tellement simple qu'il apparaît simpliste,
et pourtant !
Quand la
communication entre ciel et terre
n'existe plus, la circulation du chi est pervertie, le mal être est au rendez
vous. Habituellement le ciel nourrit la terre par sa chaleur, sa lumière et la
pluie, et la terre l'accueille, le féconde, et nous sommes comme ciel et terre. Ce que veut nous dire le
suwen, en nous rappelant cette réalité c'est aussi que le cerveau doit être en
correspondance avec le reste du corps. Le savoir doit correspondre au
savoir-être et au savoir-faire. Les scientifiques enfermés dans leurs savoirs
sans rendre leurs connaissances opérationnelles dans le concret du quotidien,
le décalage entre la perception des dirigeants et le peuple, les religieux
enfermés dans leur sphère sans
transmettre le fruit de leurs méditations, mais aussi trop de démarches spirituelles sans véritables
incarnations dans le jing de la vie sexuelle, la nourriture s'appauvrit
jusqu'au dessèchement des consciences. Cela revient à nier la terre, la
sexualité et les autres humains dont ils se désolidarisent et donc s'isolent,
ce qui est une autre forme d'errance. Avec une tête encombrée par des désordres
émotionnels et des pieds lacérés à force de marcher, en quête d'un oasis, l'humain avec son mal de ventre, ne peut s'y
retrouver, " il ne sait plus à quel saint se vouer ". la
schizophrénie , l'homme coupé en deux, peut se développer. Un astronome aussi performant soit-il, garde
toujours un contact, une communication avec sa base, on peut en prendre modèle.
Quand la
communication ne se fait plus de l'intérieur vers l'extérieur ou de l'extérieur
vers l'intérieur, quand le vent ne devient plus oxygène, l'asphyxie ou l'hébétude
annihile le mouvement. Si les émotions ne sont pas communiquées, le mental
tourne en rond et se fait son mauvais cinéma, en dehors de la réalité.
Mais si une écoute ne permet pas une
régulation, les cris vont s'amplifier en boucle jusqu'à une tension extrême.
L'absence de fluidité de ce chi de communication indispensable provoque
l'écartèlement des tissus sociaux. La conscience de l'être aura bien du mal
sauvegarder sa dignité si elle est
confrontée à la violence " normalisée " et banalisée dans
les rapports sociaux ; humiliations incessantes, harcèlements, esclavagisme
moderne au service d'un produit plutôt qu'au service de l'humain, oppositions
systématiques à la force créatrice, aliénation avec les endettements...
Et enfin cette non-communication est encore
plus pernicieuse quand l'individu n'a plus le contact avec son propre corps,
quand il ignore son sacrum, il a de
grandes chances d'ignorer son sens des
liens sacrés; quand il ignore son intimité, son
lieu de ressourcement, il ne peut connaître ce que lui dit son cœur, sa
véritable identité. Les souffles yang ne sont plus en correspondance avec les
souffles yin, l'expansion démesurée se
manifeste au détriment des forces souples de créativité. Le mental est happé,
capturé par des obsessions obsolètes, la moelle épinière est dévitalisée et
déstructurée.
De la volonté de créer ou d'organiser l'errance
mentale
On
pourrait émettre l'idée qu'il s'agirait d'une seule responsabilité individuelle
quand un chacun s'expose ainsi à ses propres désordres. Mais on peut se rendre
compte que les collectifs, dans toutes les classes sociales par certains
comportements sociaux favorisent, organisent méthodiquement la perte de
l'unification de l'esprit :
Les
assujettissements à des pressions diverses, administratives, fiscales, la
violence sociétale considérée comme passages obligé pour être dans la norme ont
une logique, pour certaines, qui pourraient bien apparaître comme insensée aux
yeux du bon sens;
Les match
de foot, devenus des cercles de haines juste pour
" s'éclater " en clair pour " se
disloquer " prétextant une détente collective en guise de
décompensation ou de récompense face à un travail harassant;
Les
exploitations sexuelles spoliant et
confisquant ainsi la vie pour le bénéfice des armes toujours plus nombreuses et
sophistiquées;
les
gaspillages énormes dans d'éphémères festivités;
la folie
de l'image et du son où chaque spectateur et auditeur est invité à consacrer du
temps juste pour le tuer;
le réseau
" salutaire " des
bistrots pour satisfaire l'ennui, là au moins on peut jouer au concours
du plus ivre pour être plus viril ou libéré,
le marché
des drogues juste pour fuir une société perverse;
Les
courses aux soldes comme s'il s'agissait
d'une nourriture absolument
vitale et existentielle ;
les jeux
d'argent juste pour rêver, s'illusionner
de gagner ou se donner une impression de
stress suffisant pour se sentir exister;
le stress
établi comme la norme inconditionnelle
de réussite ;
celui qui
est déjà en prison ou encore en hôpital psychiatrique; ce qui représente
un quota de personnes non négligeable;
....Alors" les
esprits ne sont plus retenus " (suwen). Manifestement l'esprit a
perdu son logis, son cœur. Comme un vagabond a perdu son domicile. Il n'est pas
à sa place et ne sait plus tenir la sienne. Celui qui organise comme celui qui
s'y prête participent à cette gabegie ab-errante !
La cause
et conséquence de l'errance la plus connue reste l'alcoolisme. Cette pathologie
résume bien le processus du lien ente le foie, les dépendances et l'errance : trop de yang du foie, trop de vide des reins. Avec une surpression
du foie et un vide des reins l'individu devient survolté ou complètement
inhibé, plus de sens à la vie, désabusé seulement, envie de partir parce qu'il
ne se sent jamais bien à la place où il se trouve. Le trouble de la vue telle
de fausses croyances donne une illusion d'optique : l'alcoolique considère
l'alcool comme l'ami le plus sûr pour un coup de pouce compréhensif, mais ce
produit prend ainsi le pouvoir en se substituant aux efforts et les joies de la
créativité. Poursuivi par des détournements de sa créativité l'individu n'aura d'autres ressources que
d'être acculé à la violence, à la fuite ou à l'errance. Mais les effets et dégâts,
à quelques variantes prêts, sont sensiblement les mêmes pour les autres
errances : la perte du sens de sa propre identité.
Méditation et décorporation.
Contrairement
à ce que l'on pourrait penser on retrouve l'errance mentale également dans les
effets de certaines méditations. Toute méditation n'est pas sans danger et tout
n'est pas pur non plus dans ce domaine. Quand la décorporation, considérée comme un exploit en
activant et laissant faire l'énergie pour aller dans n'importe quelle
direction, la dérive et la déviance mentale ne sont pas loin, à tel point que
la psychiatrie l'inscrit dans ses mémoires sous forme de "délire
mystique". La méditation taoïste au contraire, accepte d'accueillir la
terre et ses difficultés pour accueillir
les forces d'éclairage pour les solutions. Si le taoïste est conscient de la
force de la pensée : "Tu es là où es ta pensée", elle a encore plus de puissance quand elle
est dirigée vers un objectif, elle n'est pas sans but. La vacuité, sans être
parfaite, est atteinte quand l'harmonie est présente, alors, seulement là, le méditant peut laisser faire. Bien sûr dans
ces moments, il peut faire l'expérience du hors temps. L'énergie au dessus du
crâne, ainsi constituée en fœtus éternel peut s'habituer à aller voir tel ou
tel lieu ou cadre. Elle ne sort pas n'importe comment, même la nuit sans être
dirigée, c'est aussi cela tenir sa vie en main. Le taoïste n'oublie jamais
qu'il n'y a pas d'aller sans retour, et qu'il ne peut laisser partir son
énergie mentale partir pour atteindre on ne sait quel trou noir, sans y
revenir, pour en faire part à son entourage proche pour un mieux être
terrestre. C'est la grande leçon du
méridien vésicule biliaire.
On peut se
poser cependant la question du bénéfice de l'errance, puisque la tentation de
lui rendre visite est quelques fois tentante. Quand cette errance n'est pas
elle-même perturbée par des supports médicamenteux, drogues ou alcool, fuite
face à l'exigence du miroir de soi, l'expérience du vagabondage peut ramener
justement à notre centre. De la solitude on peut espérer une rencontre. Du
désert moral il en ressort une nécessité d'élagage entre le superflu et
l'essentiel. Les invitations au voyage permettent d'intégrer d'autres cultures
mais aussi ses racines. "les hommes bleus" du désert, ou la vie
monastique auraient-ils la fonction de rappeler à l'humanité que le voyage de
la vie ne peut être confondu avec l'errance? Et que le tao nous invite à
prendre notre vie, notre conscience en main, la divagation n'est pas la norme
de l'humanité.
Le fou et le saint
Cet étrange parallèle souvent mis en évidence
nous laisse avec beaucoup de questions.
Ils ont l'un et l'autre des expériences similaires et cependant
différentes. Le praticien exercé
favorisera des techniques énergétiques pour soigner ce qui ressemblent
étrangement à ceux des psychotiques qui
cherchent à calmer leurs angoisses existentielle ; la claire voyance du
méditant et la médiumnité de l'alcoolique sont souvent confondues ; la
réception maximum d'informations d'une manière énergétique ou par l'ingestion
de produits peut avoir les mêmes mises en action des neurones. Penser à rien ou
capter multiples informations neuronales, vacuité ou concentration. Les petites
hallucinations de l'homme ivre ou l'ivresse des ondes alpha; le vagabondage ou la sagesse du détachement ?
Le sage
préfère taire son savoir et protéger ses prophéties si ce n'est pas le moment
de les dire, quand le fou va vouloir les crier à tue-tête de nuit dans une rue
déserte ou devant un public qu'il aimera voir affoler par sa violence.
Mais on peut penser cependant que la
voie du sage s'avère plus gratifiante et
moins souffrante mais aussi plus exigeante.
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