samedi 23 mars 2019

L'errance mentale vue par un taoïste occidental


L'errance mentale
 vue par un taoïste occidental

  
Entre les méditants qui recherchent " des états modifiés de conscience ", l'usage de  mélanges de toute sortes ou antidépresseurs, légalisés ou non, invitant à des voyages hors normes ou d'autres distractions commerciales pour aller voir ailleurs, sans scrupule sur le contenu proposé,  l'éclairage de la philosophie taoïste apporte  une acuité particulièrement actuelle sur l'errance mentale, comme phénomène social ; imposant par la masse d'individus, interrogeant quant à la conscience d'être soi. Entre celui qui se cherche et celui qui ne sait où aller, la recherche d'un ailleurs  paraît forcément meilleure !
Certes, la voie du Tao  nous rappelle que chacun gère son destin de la manière dont il l'entend, mais il nous rappelle aussi que chacun doit tenir les rênes de sa vie, sans se laisser ballotter, sans perdre le sens de celle-ci.

  
l'errance  mentale  due à une  non-communication.
 Selon le chII Du suwen, l'errance mentale intervient quand il y a rupture de communication avec des référents qui n'ont pas été respectés. Les préceptes taoïstes nous orientent vers la  conception d'une bonne santé, lien entre toute chose, unification du corps dans un ensemble cohérent : les cinq organes et leurs fameuses correspondances, entre autre à celle des saisons et intersaison. Si par l'effet de l'homme, les saisons s'emballent, le non sens, la fragilité des consciences apparaît entre les humains, les esprits s'échauffent ou se perdent à l'instar des éclipses de soleil, les consciences ne sont plus lumineuses, elles perdent le nord. Au même titre que les animaux et la nature, l'homme ne s'y reconnaît plus. L'expansion d'un marché économique forcené comme autant de territoires à acquérir malmène et provoquent les foies individuels et leur désir de créativité. Sans créativité le feu du foie va s'enflammer comme un feu de paille dans des actions incongrues. Les volontés de défier la poussée des choses, perturbent l'équilibre naturel. Les courses après le temps dérèglent la pendule des thyroïdes, pour  laisser place à des " bouffées de chaleurs " ou à des sauts d'humeur destructeurs, " le ciel se renverse, la terre se retourne ". Les vents ne viennent plus mettre de l'ordre dans les semences mais détruisent tout sur leur passage enclenchant une cascade de désastres.
Si les cinq organes n'ont plus de contact entre eux, le masculin et le féminin n'ont plus de correspondance, le masculin reste en quête perpétuelle du féminin, le féminin désespère d'attendre le masculin, solitude de l'action incomprise, ou créativité et fécondité non reconnue. L'attente de la complétude inassouvie, la frustration de l'inachevé, le vide total entre le foie et le cœur font souffrir. La fuite de cette souffrance pourrait bien être l'échappatoire d'une situation intenable, pour se rendre compte, dans l'errance, que celui-ci est encore un échappatoire à l'essentiel, le manquement à la communication. Le vide de reins  hésitent entre la fuite et le dégoût de la vie. La rate et l'estomac mal nourris vont penser sans la raison. Le shen, qu'abrite le cœur, recherche fondamentalement le calme ; pour se protéger des agressions externes il va esquiver la situation douloureuse au risque de se retrouver dans une autre impasse, la perte de racines.
" Il est ailleurs, perdu dans ses pensées " ; " il n'a plus les pieds sur terre "; " il a perdu la tête " ; " il n'a plus la tête sur les épaules " ; "  il divague " ; " il dit n'importe quoi "
Le point  3 rate (nommé " le plus blanc ") et le 4 rate (nommé " entre grand père et petit fils ") en acupuncture sont les points signifiants de la prise de terre,  comme s'il était temps de reprendre contact avec la réalité, humain entre les anciens  et les enfants  ou petits enfants, chaînon parmi les chaînons. Le massage régulier de ces points, seraient-il une bonne prévention à l'errance mentale? Vaste programme tellement simple qu'il apparaît simpliste, et pourtant !

Quand la communication entre ciel et terre  n'existe plus, la circulation du chi est pervertie, le mal être est au rendez vous. Habituellement le ciel nourrit la terre par sa chaleur, sa lumière et la pluie, et la terre l'accueille, le féconde, et nous sommes comme  ciel et terre. Ce que veut nous dire le suwen, en nous rappelant cette réalité c'est aussi que le cerveau doit être en correspondance avec le reste du corps. Le savoir doit correspondre au savoir-être et au savoir-faire. Les scientifiques enfermés dans leurs savoirs sans rendre leurs connaissances opérationnelles dans le concret du quotidien, le décalage entre la perception des dirigeants et le peuple, les religieux enfermés dans leur sphère sans  transmettre le fruit de leurs méditations, mais aussi trop de  démarches spirituelles sans véritables incarnations dans le jing de la vie sexuelle, la nourriture s'appauvrit jusqu'au dessèchement des consciences. Cela revient à nier la terre, la sexualité et les autres humains dont ils se désolidarisent et donc s'isolent, ce qui est une autre forme d'errance. Avec une tête encombrée par des désordres émotionnels et des pieds lacérés à force de marcher, en quête d'un oasis,  l'humain avec son mal de ventre, ne peut s'y retrouver, " il ne sait plus à quel saint se vouer ". la schizophrénie , l'homme coupé en deux, peut se développer.  Un astronome aussi performant soit-il, garde toujours un contact, une communication avec sa base, on peut en prendre modèle.

Quand la communication ne se fait plus de l'intérieur vers l'extérieur ou de l'extérieur vers l'intérieur, quand le vent ne devient plus oxygène, l'asphyxie ou l'hébétude annihile le mouvement. Si les émotions ne sont pas communiquées, le mental tourne en rond et se fait son mauvais cinéma, en dehors de la réalité. Mais  si une écoute ne permet pas une régulation, les cris vont s'amplifier en boucle jusqu'à une tension extrême. L'absence de fluidité de ce  chi de communication indispensable provoque l'écartèlement des tissus sociaux. La conscience de l'être aura bien du mal sauvegarder sa dignité si  elle est confrontée à la violence " normalisée " et banalisée dans les rapports sociaux ; humiliations incessantes, harcèlements, esclavagisme moderne au service d'un produit plutôt qu'au service de l'humain, oppositions systématiques à la force créatrice, aliénation avec les endettements...

 Et enfin cette non-communication est encore plus pernicieuse quand l'individu n'a plus le contact avec son propre corps, quand il ignore son sacrum,  il a de grandes chances d'ignorer son  sens des liens sacrés; quand il ignore son intimité, son  lieu de ressourcement, il ne peut connaître ce que lui dit son cœur, sa véritable identité. Les souffles yang ne sont plus en correspondance avec les souffles yin, l'expansion démesurée  se manifeste au détriment des forces souples de créativité. Le mental est happé, capturé par des obsessions obsolètes, la moelle épinière est dévitalisée et déstructurée.

  
De la volonté de créer ou d'organiser l'errance mentale
On pourrait émettre l'idée qu'il s'agirait d'une seule responsabilité individuelle quand un chacun s'expose ainsi à ses propres désordres. Mais on peut se rendre compte que les collectifs, dans toutes les classes sociales par certains comportements sociaux favorisent, organisent méthodiquement la perte de l'unification de l'esprit :
Les assujettissements à des pressions diverses, administratives, fiscales, la violence sociétale considérée comme passages obligé pour être dans la norme ont une logique, pour certaines, qui pourraient bien apparaître comme insensée aux yeux du bon sens;
Les match de foot, devenus des cercles de haines juste pour " s'éclater " en clair pour " se disloquer " prétextant une détente collective en guise de décompensation ou de récompense face à un travail harassant;
Les exploitations sexuelles spoliant  et confisquant ainsi la vie pour le bénéfice des armes toujours plus nombreuses et sophistiquées;
les gaspillages énormes dans d'éphémères festivités;
la folie de l'image et du son où chaque spectateur et auditeur est invité à consacrer du temps juste pour le tuer;
le réseau " salutaire " des  bistrots pour satisfaire l'ennui, là au moins on peut jouer au concours du plus ivre pour être plus viril ou libéré,
le marché des drogues juste pour fuir une société perverse;
Les courses aux soldes comme s'il s'agissait  d'une nourriture absolument  vitale et existentielle ;
les jeux d'argent  juste pour rêver, s'illusionner de gagner  ou se donner une impression de stress  suffisant pour se sentir exister; 
le stress établi comme  la norme inconditionnelle de réussite ;
celui qui est déjà en prison ou encore en hôpital psychiatrique;  ce qui représente un quota de personnes non négligeable;
....Alors" les esprits ne sont plus retenus " (suwen). Manifestement l'esprit a perdu son logis, son cœur. Comme un vagabond a perdu son domicile. Il n'est pas à sa place et ne sait plus tenir la sienne. Celui qui organise comme celui qui s'y prête participent à cette gabegie ab-errante !
La cause et conséquence de l'errance la plus connue reste l'alcoolisme. Cette pathologie résume bien le processus du lien ente le foie, les dépendances  et l'errance : trop de yang du foie, trop de vide des reins. Avec une surpression du foie et un vide des reins l'individu devient survolté ou complètement inhibé, plus de sens à la vie, désabusé seulement, envie de partir parce qu'il ne se sent jamais bien à la place où il se trouve. Le trouble de la vue telle de fausses croyances donne une illusion d'optique : l'alcoolique considère l'alcool comme l'ami le plus sûr pour un coup de pouce compréhensif, mais ce produit prend ainsi le pouvoir en se substituant aux efforts et les joies de la créativité. Poursuivi par des détournements de sa créativité  l'individu n'aura d'autres ressources que d'être acculé à la violence, à la fuite ou à l'errance. Mais les effets et dégâts, à quelques variantes prêts, sont sensiblement les mêmes pour les autres errances : la perte du sens de sa propre identité.
                       
  
Méditation et décorporation.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser on retrouve l'errance mentale également dans les effets de certaines méditations. Toute méditation n'est pas sans danger et tout n'est pas pur non plus dans ce domaine. Quand la  décorporation, considérée comme un exploit en activant et laissant faire l'énergie pour aller dans n'importe quelle direction, la dérive et la déviance mentale ne sont pas loin, à tel point que la psychiatrie l'inscrit dans ses mémoires sous forme de "délire mystique". La méditation taoïste au contraire, accepte d'accueillir la terre et ses difficultés pour  accueillir les forces d'éclairage pour les solutions. Si le taoïste est conscient de la force de la pensée : "Tu es là où es ta pensée",  elle a encore plus de puissance quand elle est dirigée vers un objectif, elle n'est pas sans but. La vacuité, sans être parfaite, est atteinte quand l'harmonie est présente, alors, seulement là,  le méditant peut laisser faire. Bien sûr dans ces moments, il peut faire l'expérience du hors temps. L'énergie au dessus du crâne, ainsi constituée en fœtus éternel peut s'habituer à aller voir tel ou tel lieu ou cadre. Elle ne sort pas n'importe comment, même la nuit sans être dirigée, c'est aussi cela tenir sa vie en main. Le taoïste n'oublie jamais qu'il n'y a pas d'aller sans retour, et qu'il ne peut laisser partir son énergie mentale partir pour atteindre on ne sait quel trou noir, sans y revenir, pour en faire part à son entourage proche pour un mieux être terrestre. C'est la grande leçon du  méridien vésicule biliaire.


  Du bénéfice  de l'errance
On peut se poser cependant la question du bénéfice de l'errance, puisque la tentation de lui rendre visite est quelques fois tentante. Quand cette errance n'est pas elle-même perturbée par des supports médicamenteux, drogues ou alcool, fuite face à l'exigence du miroir de soi, l'expérience du vagabondage peut ramener justement à notre centre. De la solitude on peut espérer une rencontre. Du désert moral il en ressort une nécessité d'élagage entre le superflu et l'essentiel. Les invitations au voyage permettent d'intégrer d'autres cultures mais aussi ses racines. "les hommes bleus" du désert, ou la vie monastique auraient-ils la fonction de rappeler à l'humanité que le voyage de la vie ne peut être confondu avec l'errance? Et que le tao nous invite à prendre notre vie, notre conscience en main, la divagation n'est pas la norme de l'humanité.

  
Le fou et le saint
 Cet étrange parallèle souvent mis en évidence nous laisse  avec beaucoup de questions. Ils ont l'un et l'autre des expériences similaires et cependant différentes.  Le praticien exercé favorisera des techniques énergétiques pour soigner ce qui ressemblent étrangement à ceux des  psychotiques qui cherchent à calmer leurs angoisses existentielle ; la claire voyance du méditant et la médiumnité de l'alcoolique sont souvent confondues ; la réception maximum d'informations d'une manière énergétique ou par l'ingestion de produits peut avoir les mêmes mises en action des neurones. Penser à rien ou capter multiples informations neuronales, vacuité ou concentration. Les petites hallucinations de l'homme ivre ou l'ivresse des ondes alpha; le vagabondage  ou la sagesse du détachement ? 

Le sage préfère taire son savoir et protéger ses prophéties si ce n'est pas le moment de les dire, quand le fou va vouloir les crier à tue-tête de nuit dans une rue déserte ou devant un public qu'il aimera voir affoler par sa violence.
Mais on peut penser cependant que la voie du sage s'avère plus gratifiante  et moins souffrante mais aussi plus exigeante.


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