jeudi 13 juin 2019

L’aimant de l'été


L’aimant de l'été



Hasard de l'orthographe ou compréhension singulière de la vie, l'aimant, celui qui aime et l'aimant, celui qui attire la polarité inverse mais complémentaire, s'écrivent de la même manière. Le phénomène attractif des cœurs  et des corps, plus sensible en période estivale, exprime une forme de vie dont le mystère, pensé par la philosophie taoïste, interroge et surprend encore nos pensées occidentales, par le sens qui sous-tend cette manifestation du Chi. Cette puissante attraction du masculin et du féminin, du Yin et du Yang questionne le fondement de notre identité.


L'eau et le feu s' aimantent


La chaleur monte et l'eau descend, et pourtant se recherchent. Les deux réunis produisent une alchimie particulière quand l'eau est au dessus du feu et un autre potentiel quand ces deux fonctions suivent leur cours naturel de séparation pour se singulariser. Mais autre constat, si la sève monte et la pluie descend, le chaud attire également le froid, le bouillonnement  du chaos mental aspire à la paix mentale. La métaphore du feu sous la casserole  pour la cuisson  d'un met suggère bien, le délicat dosage du feu, de l'eau, des ingrédients, du temps, pour qu'il devienne savoureux.
En chaque être existe le chaudron, l'eau (les reins) et le feu (le cœur) quelque soit sa couleur de peau. Chacun va chercher au plus profond de lui même ce qui va mobiliser l'essence chaleureuse de son identité propre, faire bouillir l'eau (action) pour une combustion agréable de son énergie du cœur, laquelle aura une incidence sur l'élévation de sa conscience. Intuitivement et spécifiquement tout être est attiré par le langage du cœur que sont l'émerveillement, le rire, la joie, l'enthousiasme, la chaleur. « Le cœur est en l'homme, celui qui tient la place de souverain, face au sud » (Su Wen 6 et 8) « Il propage partout le feu de la vie, la puissance et le goût de vivre » (Claude Larre). Il a besoin pour cela, d'être appuyé par le langage des reins que sont l'endurance, l'action, la force, la protection, la sécurité. Depuis sa conception cette énergie fécondée va s'orienter vers son plein potentiel et la maturation de sa conscience perfectible à l'infini, sorte d'absolu toujours insaisissable, en tenant, ensemble, le langage du cœur et celui des reins. Il sait ce qui lui convient, devant chaque choix  il se pose la question de cette adéquation maximale. L'être humain (homme ou femme) est donc « naturellement » attiré par tout ce qui va pouvoir l'épanouir, au risque de se brûler les ailes  quand le choix  de qu'il croyait être bon pour lui, s'avère être une fausse croyance, ou  le vérifier par la négative quand l'individu place sa confiance en une énergie prometteuse mais qui aura été déviée ou détournée de son objectif, perçue alors comme une trahison.
Le langage du cœur est plus particulièrement porté par la femme celui des reins par l'homme. C'est donc la femme qui guide cette attraction, puisque dans l'idéal, c'est le cœur de la femme qui va faire grandir la conscience de l'humanité, l'homme devrait  en être le garant,  le soutien de cette énergie, de son entretien et de sa mise en forme. Dans la relation sexuelle, la femme veut élever les débats, connaître les fondements de la vie, la source qui dans la matière amène de la chaleur à son cœur et à son hypothalamus, à savoir l'impulsion du chi, mouvement puissant des flagelles des spermatozoïdes, transmise par voie externe masculine;  l' homme veut connaître les sommets de la conscience, l'initiation spirituelle par la voie interne féminine. Suivant cette logique, l'un ne peut aller sans l'autre, le spirituel ne peut  se dissocier de la sexualité et vice versa. Les séparer revient à les dénaturer, à les pervertir mutuellement. Chaque expérience pouvant devenir à ce titre un enrichissement personnel.  Tous les loupés, pannes, dérives en tout genre ne sont, par la négative, que des confirmations de cette quête manquée, d'où frustration, incompréhensions, amertumes. Certains préféreront des ersatz de cette expérience tout en sachant que ce ne sont que des illusions, plutôt que de ne rien vivre du tout. Ils veulent approcher, un tant soi peu, sans être dupe d'eux-mêmes, cette dimension d'un sentiment profond d'existence. Dans un long terme, s'ils sont répétés, ces vécus spirituels sans sexualité peuvent brûler la conscience, (folie , hystérie ou autre cancer) ou la débauche sexuelle sans référence à un développement de la conscience devient une perdition d'énergie suicidaire (dégoût de vivre, agressions défensives, attirance vers les bas fonds). Dans les deux situations, c'est une perte de sens.
La prostitution est bien sûr le meilleur exemple de cette duperie, de cette usurpation : la prostituée, qui sait allumer le feu, fait croire à une relation d'amour alors qu'il ne s'agit que d'une transaction financière, qu' elle est capable de faire payer très cher, tellement elle a faim de sécurité, pensant indûment qu'elle va, de cette manière, se grandir ; le client se prête au jeu, prêt à payer très cher cette illusion de reconnaissance tellement il a soif de cette complétude, pensant indûment qu'il va, de cette manière, atteindre cette aspiration élévatrice.

Il n'empêche que la puissante attraction de deux êtres est bien basée sur cette perception radicale que cette bipolarité, spirituelle et sexuelle, tellement fondamentale, serait intuitivement rendue possible. N'appelons pas « inconscient » ce qui est instinctif, il s'agit d'une pulsion inéluctable, d'une volonté de réalisation et d'épanouissement mutuel parce que notre Jing (énergie ancestrale) notre Shen (énergie de conscience) et notre Chi (énergie du mouvement) sont ainsi constitués, chaque être est propulsé depuis sa naissance vers l'accomplissement de sa maturation d'homme ou de femme. Synthèse de l'eau et du feu dont la combustion, vapeur élégante, élève le niveau de vie. La philosophie taoïste nous apprend à conduire cette pulsion de manière noble et mesurée. Elle apprend aussi à respecter la nature des choses : l'aimantation respective pour se grandir  mutuellement. C'est donc l'espoir, l'anticipation des possibles et la volonté d'un accomplissement qui crée cette attraction. Pourquoi cette personne là plus tôt qu'une autre? Les informations électriques et subtiles entre chaque être répondent à des interactions de correspondances. En ce moment là de la vie de chacun, les atomes ont suffisamment de croches et de demi- croches entre eux pour que la partition devienne harmonieuse, et que la musique s'entende au loin.



Le calme du cœur : préface du yin

Si le foie entraîne sa foi précipitamment et avec fougue, au moindre coup d'œil complice et si les deux cœurs s'échauffent au point d'en perdre la raison, le feu des passions risquent fort de tourner au feu de paille. La préface d'un livre donne beaucoup d'indications quant à la lecture du livre. Le yang du foie des deux partenaires mais de l'homme en particulier, devra s'assurer que les reins le suivent bien, c'est à dire la tranquillité et la force. Il devra donc au préalable faire retraite pour vérifier sa fidélité à lui-même, la cohérence de ses actions et de sa logique. S'il sent intérieurement qu'il ne se reconnaît pas dans une relation le cœur sera troublé, perturbé voire blessé ou humilié. Le déni d'une inadéquation n'apporte qu'embrouille et déstructuration. La paix mentale devient une condition sine-qua-non à la mise en place du feu tant désiré. Les deux partenaires ne peuvent faire l'économie de l'apaisement des cinq émotions essentielles (colère, exubérance, soucis, peur, chagrin), de la stabilité émotionnelle alors même qu'elle est bousculée, de la clarification de la pensée avant la symbiose fusionnelle. La confiance et la sérénité (l'eau) assureront la paix des cœurs  pour qu'ils puissent s'ouvrir dans un enthousiasme orgasmique (feu) dans une expansion exponentielle pour l'humanité (conjugaison de l'eau et du feu). On comprendra facilement que cette phase préalable de la rencontre, à l'heure où la « modernité » invite au « vite fait dans la précipitation » ou au « tout,  tout de suite,  consommable et jetable » est la plus difficile à atteindre. Le ralentissement de la respiration redonnera le pouvoir aux poumons, de calmer les esprits, et de réguler ces forces en présences, c'est aussi leur rôle. 



Du flirt du Yin au coup de foudre

On l'aura compris la relation intime demande beaucoup d'attention, de précaution,  de cadre entourant,  enveloppant et sécurisant pour que la puissance du yin puisse se développer. Savoir écouter le yin est un art très particulier. Loin d'être une faiblesse ou une vulnérabilité, avoir accès à ce qui semble le plus fragile de l'être et qui néanmoins s'avère être le plus créateur est le défi que nous propose la danse du yin ; du flirt, il est capable de déployer un coup de foudre.
La petite sensation des mains de la coiffeuse qui glisse sur le méridien vésicule biliaire, pendant le shampoing, va électriser tout le corps et faire fondre les plus vives tensions ; le film qui va rappeler la nostalgie d'une expérience de bonheur aura le pouvoir de faire vibrer une partie du cœur ; une musique, une vraie écoute et un profond regard peuvent faire pleurer parce que la beauté, en soi, anéantie  les raisons d'être méchant. Ce sont les trésors du yin. On touche à ce qui fait le moteur de la vie, le yin est là avant d'être yang. « Le mystère de la vie  doit rester dans les profondeurs, abrité et caché ; il ne doit jamais se monter à nu, sans le couvert et la protection du yang » (Su Wen). Ici encore, il n'est pas question « d'inconscient » mais seulement d'un potentiel de vie qui doit être protégé d'où les systèmes de défenses organiques et psychologiques absolument indispensables qui ont leurs fonctions et utilités. C’est donc une erreur de vouloir casser ces systèmes de défense que certains appellent carapaces.
C'est dans ces conditions environnementales confortables, à ce moment-là seulement, que le yin peut se déployer, se développer s'exprimer, en prenant une forme mentale et physique dans la relation amoureuse. Cette forme peut s'appeler « illumination ». La recherche ésotérique d'autres états de conscience, en quête d'un autre ailleurs, pour un extra-ordinaire pouvoir, se trompe quand  elle néglige cette base  et ce fondement de l'écoute du Yin : source de toute créativité. La magie de l'émergence de cette forme, qui vient dont on ne sait où, pour s'infiltrer dans notre conscience, pendant l'écoute du yin, serait bien, au fond, ce qui a conduit cette attraction aimante dans les deux sens du terme.

La fluidité du Ying invite le Yang à prendre le pouvoir


C'est lorsque l'homme va pouvoir écouter le yin de la femme qu'il va retrouver son yang. Et plus il l'écoute, plus il devient excité. Son activation va induire la cadence, donner le rythme, le tempo, la consistance à cet mouvement de vie, qui demande à prendre forme. Mais alors même que l'homme aura tendance à se précipiter pour aboutir à ce qui le pousse avec insistance et impatience, l'explosion de sa pulsion pour être, il devra ralentir pour attendre sa compagne et celle-ci alors même qu'elle voudra ralentir pour garder en suspens son ressentit de puissance de vie qu'elle voudrait garder dans la durée, elle devra accepter de lâcher le contrôle pour rejoindre son compagnon. Activation ou ralentissement de la respiration viendront, pour les deux partenaires, synchroniser cette expérience de vivre l'intensité de l'orgasme ensemble. Le chi, en tant que tel, est alors à l'honneur pour que la santé rejoigne la sexualité et la spiritualité. Indéniablement transformé chaque être ré-expérimente une autre phase yin où l'énergie pure produit son alchimie d'expansion, d'unification,  de gratification, nourrissant ainsi tous les organes pour une consolidation d'existence, sans que la volonté soit en action.

Outre le fait que chaque partenaire puisse considérer chaque relation sexuelle comme un révélateur de lui-même et comme une occasion de se parfaire, la  philosophie taoïste nous montre que la danse du Yin et du Yang devrait nous permettre de reconsidérer certains a-priori sur la place de chacun, masculin et féminin dans la conception de l'action,  de la santé et de la transformation spirituelle de la société...Le magnétisme aimant ! Un long chemin vers lequel on peut tendre avec tendresse,  sans rivalité, sans esprit de possession.