Du Passage
à l'Acte au Non-Agir
Tonnerre
de Dieu !
Passage à
l’acte du ciel, se désencombrant d’une tension électrique énorme, de nuages
lourds chargés de noirceurs humides, de polarités incompatibles ; pacte
entre le ciel et la terre, déséquilibré, dénaturé ou rompu, le tonnerre
pourrait bien symboliser nos passages à l’acte d’humains. Éclair du sombre et
du clair. Chaque jour nous sommes confrontés à des passages à l'acte
d'intensités variables, de diverses natures. Ils font appel à des affects très
différents. Observons quelques unes des composantes du passage à l'acte à
travers la philosophie taoïste, du plus violent au plus subtil.
Passage à l’acte, le « mal » aimé
En
occident, le passage à l'acte a une connotation négative et répréhensible « L’acteur » passe outre un
interdit, transgresse une loi humaine dictée comme souveraine. Le passage à
l’acte n’a pas la même valeur selon que
l’on se situe du côté de la société ou du côté de l’individu. Les
tribunaux, au nom du vivre ensemble dans la société, fustigent le passage à
l’acte violent sans pour autant en saisir tous les fondements de la composante psychique. La loi
serait supposée contrôler les actes insensés.
Comme si la loi par son seul fait d’exister suffisait à supprimer tout
passage à l’acte violent. Les prisons sont pleines
« d' artistes » fous du passage à l'acte.
L’analyse
psychiatrique semble aussi dédouaner la société quand l’acting'out est décrypté
comme le fait de la seule remise en cause de l’individu, par l’économie d’une
symbolisation, de son intolérance à
la frustration, d’une fragilité du moi, absence de maîtrise des pulsions. Ce
terme frustration peut trouver un écho dans la manifestation de l’enfant
roi tout puissant « qui veut tout,
tout de suite, et rien que SA volonté » sans limites des passages à l’acte
colérique. Il est seulement à l’image d’une société qui a fait le choix du tout
consommable sans limite, de l’exigence égoïste « du rien que pour
moi. » Mais cela ne tient plus quand frustration serait la justification
de limitation de la pauvreté, ou de la soumission, de la non-réalisation du
moi, comme s’il suffisait de symboliser, d’accepter la frustration, la castration
et la mort, pour que les choses soient réglées. Cela ne peut devenir une
référence en soi. Mais au départ pourquoi cet individu n’a pas pu apprendre les
fondements même de sa réalisation?
Ce n’est pas le lieu ici, de faire l’étude de toutes les motivations et de la
complexité mentale qui pousse quelqu’un au crime, à l’inceste ou à la
pédophilie, actes réprimandés par toutes les sociétés, mais sommairement on
peut admettre qu’il s’agit d’un cri de sa non-existence, d’une
non-reconnaissance, perte d’identité, perte de sa perception corporelle et de
son appartenance à une collectivité, absence de lien du cœur avec les autres
organes, rapport parentaux défectueux (père absent et mère abusive). Et là où
nous en sommes, nous ne pouvons que constater les dégâts d’une non-prise en
charge éducative du respect de la vie.
Sans issue ou sens de l’issue
Entre le
suicide radical (peu importe le moyen) ou le suicide à petit feu (drogue,
alcoolisme) la différence se trouve dans
la répétition de gestes morbides, mais le point commun, semble être la perte de
sens, l'impossibilité de résoudre un conflit entre une force provenant de la
société en quêtes de règles et l'individu en quête de son identité, pression externe face à une force interne,
souffrance extrême dont la seule issue, pour s’en extraire, resterait la
solution de la mort, le sentiment intime de ne pas être respecté (le cœur est
souffrant), qui se décline par le sentiment d'esclavage, d'humiliation,
d’enfermement, avec l’impossibilité de communiquer ce mal être. Toute la
personnalité est emportée et submergée.
Regardons
un instant le passage à l'acte dont la caractéristique est une extériorisation
d’énergie violente, fulgurante, inattendue, fugace, avec un effet réel ou
imaginaire, de libération, telle une explosion. L'impression d’une libération
n'est pas forcément durable dans le temps.
Le passage
à l'acte présuppose une pression sur un organe ou une aspiration de son
énergie, et la faillite des quatre autres organes. La fluidité vers l’une des
trois portes de sortie, la parole, la sexualité, la créativité en est empêchée
; la bouche est bâillonnée, la sexualité castrée, la créativité annihilée. Ces
trois influences correspondent aux trois foyers, foyer supérieur, la conscience
; foyer moyen, les émotions, "l’art du faire juste" ; foyer
inférieur, la sexualité. Derrière tout passage à l’acte violent se cache un
manque de fluidité vitale, une absence de la parole, d’expression des besoins.
Et très souvent, l'organe foie détient la primeur de cette expansion.
La
surchauffe du foie sera prégnante dans les situations d’alcoolisation aiguë et
les débordements de vitesse, certains parleront de se « défouler, »
d'une décharge d’adrénaline, pour ne pas « pêter les plombs. » Dans
la fugue d’un adolescent qui veut s’acquérir un autre territoire, on fait
référence également au foie qui cherche son cœur.
Ce sont
les reins qui sont concernés quand l’existence est menacée. Quand ils sont mis
en danger, c’est le « courage, fuyons » qui prévaut. Quand une femme
battue prend ses enfants pour s'enfuir sans savoir où aller, c'est son élan
d’un pas sage, salutaire, de survie, qui la fait passer à l'acte ; une
séparation brutale considérée comme l‘issue de secours.
En
certaines circonstances deux ou trois
organes seront vidés par l’agression externe, c’est le cas des reins et des
poumons dans la situation du harcèlement. Les reins sont aussi usés par
l’endurance de l’usure machiavélique de cette relation, les poumons n’arrivent
plus à réagir dans leur sauvegarde de fuite instinctive et le foie ne tient
plus sa place de combattant et de fin stratège. Les poumons réagiront à
l’oppression, au sentiment d’étouffement familial, de claustrophobie. Le vide
aspirant au vide du néant, on peut considérer que ces derniers sont mis à mal
dans de nombreux passages à l’acte suicidaires. Le manque de Chi aspire à la
mort. La détresse invitant le cercle vicieux d’une détresse encore plus grande.
La rate ne
manquera pas de se faire connaître par une peur spécifique face au manque
d’argent, du petit larcin au
« casse » du siècle,
l’avidité fascinera cette convoitise. La haine provoque la haine (manifestant jetant une bouteille et allant
se faire fusiller) et le cœur, y répond tout en sachant qu'il se blesse. Le
passage à l’acte violent, incohérent, fou, sans objet, fruit d’une
incompréhension langagière, commande la bestialité, comme si la force des reins
avaient refusé tout le contrôle de la fratrie des organes, cœur, foie, poumons,
rates.
Ce que
l'on peut retenir, c'est que le passage à l'acte est en rapport avec une
dépense importante d'énergie d’un ou de plusieurs organes ; résultante d'une
longue retenue d'énergie faisant office d'une pression accumulée, ou d’une
inspiration, devenue insupportable. Les expressions occidentales : « il me pompe de l’air » -
« il me gonfle » - « je n’en peux plus » - « faites
quelque chose s’il vous plait » - « il va me rendre fou » -
« c’est épuisant » - « il veut me tuer » , laissent
transparaître la tension interne, sans doute inutile et la volonté « d’en
sortir ». L’intérieur se défend de l’extérieur insupportable. On peut
émettre l’hypothèse que derrière chaque type de suicide à sa correspondance
avec la manifestation d’un vide d’un organe particulier.
Face à ces
éléments extérieurs qui perturbent la fluidité de l’énergie, (les portes de
sorties sont bloquées) on doit faire le constat de l’impuissance de l’intérieur
de l’être qui n’a pu se dire. et son absence de contact avec L'Energie
fondaùentale. Une barrière du dialogue s'est instaurée. (manifestant avec une barrière) Et plus la parole a été retenue,
entravée, déformée plus la manifestation en sera violente et le passage à
l'acte démesuré, il en est de même pour
l'énergie sexuelle, ou l'action créatrice. Quand ces trois énergies de
l'expression de la personne, parole, sexualité, créativité, sont bafouées, étouffées, violées, par un contexte social,
familial relationnel ou ascétique, le corps se révolte. La réponse à la
violence, aux passages à l’acte fou, se trouve donc dans l’écoute, l’écoute et
encore l’écoute, le respect de la fluidité de l’énergie. Quand l’autorisation
de parler est là dans un contexte et cadre sécurisant, la parole confiante et
son essence, retrouve sa fluidité. Cela induit la présence d' au moins deux interlocuteurs qui soient
d’accord sur un minimum de règles du dialogue, ne serait-ce que d’apprendre à
repérer ce qui est insupportable avant d’arriver à des chutes extrêmes. Mais on
le voit bien, la réorganisation des organes et le renouvellement du Chi, de
l’énergie, s’avèrent également indispensables comme résolution. De plus, l'observation des
réponses inadéquates de trop de violence ou d'abdication, face au rouleau
compresseur des intrusions en tout genre, s'avère nécessaire pour pouvoir
affronter, fuir, adapter, transformer son énergie pour d'autres possibles.
Passage à l'acte fou au passage à l'acte mesuré
La
souffrance provient d'un passage à l'acte non préparé, pour celui qui agit,
comme pour celui qui le reçoit. La souffrance est à la mesure de la
déflagration d'énergie. Les passions désorganisent la réflexion. Cet événement
provoque une déstabilisation des énergies et induit une remise en cause sur
tous les registres.
Cependant
le passage à l'acte laisse entrevoir un aspect positif, tel l'orage a pour
fonction de clarifier le ciel de son trop plein d'énergies contradictoires, tel
le passage à l'acte, aurait aussi cette fonction de clarifier la pensée. Une
action trop énergique est quelques fois plus souhaitable à l'absence d’énergie.
Se mettre en mouvement est une aventure en soi. Enclencher une action ou
y mettre un terme est un agir quotidien. C'est en passant à l'acte que
l'on trouve ce dont on a besoin, c'est à dire, la confiance en soi. C'est en passant à l'acte
que la « forme » prend naissance, et que celle-ci peut devenir
perfectible ; faire l'économie du passage à l'acte est dans ce cas de figure
une autodestruction.
La
nécessité du passage à l’acte se fait sentir quand il s’agit de remettre de
l’ordre dans un chaos qui a perduré ou
un fonctionnement usé qui ne correspond plus à l’objectif signifié
(soit dans l'interne personnel, soit dans l'externe collectif, soit dans
l'interaction de ces deux paramètres).
Tout
serait donc une question de mesure. Quand on commence à mesurer les
conséquences de son acte, on réfléchit à deux fois. Quand un groupe de soldats
spécialisés obéissant à une unité de corps ou qu'un groupe de militants
obéissant à une unité de valeur, passe à l'attaque l'on suppose que la
réflexion a présidé en amont. A l'instar de ces groupes l'individu, obéissant à
une unité d'être, peut aussi adopter une véritable stratégie personnelle, pour
sa propre défense ou construction.
Le passage
à l'acte a un lien inéluctable avec le facteur de décision personnelle. Le
passage à l'acte induit autonomie, responsabilité, liberté. L'autonomie
individuelle nous invite au contraire à passer à l'acte pour se nommer, se
distinguer, marquer notre originalité
individuelle personnelle « notre yin et yang, un parmi les
milles ». L’objectif étant l’extériorisation d’une ferme intention de la
force interne pour l’accomplissement cohérent de son expression et la nécessité
de la transformation de l’environnement ; ce qui suppose préparation,
regroupement d’informations, réflexions, méditations, prises de décisions, et
déterminations. Autrement dit le passage à l'acte positif contient en lui-même,
la capacité à percevoir son taux énergétique de ses cinq organes, de ses méridiens,
de ses trois foyers, de l'appréhension de l'évènement extérieur et de
l'adéquation de la réponse énergétique. Une décision longuement réfléchie
aboutit forcément à un moment ou à un autre à une ré-solution, quand c'est le
moment, quand les choses sont mûres, avec le juste dosage. Pas assez d'énergie
et le résultat est un coup d'épée dans l'eau, pas au bon moment, le résultat
donne l'impression d'un avortement ou d’un faux départ, trop tard, l'énergie a
déjà subit des préjudices pour sa santé ; une formation d'une longue durée qui
comble un manque de confiance en soi perverti l'action et engendre la peur (cueillir
les fruits à la bonne saison, si non ils pourrissent). Trop fort le passage à
l'acte provoque de la casse, inertie et
le manque du passage à l’acte va induire du regret.
Ce qui
manque dans le passage à l'acte violent c'est précisément la confiance dans son
énergie, dans le temps, dans l'aboutissement d'un résultat positif. C'est alors
le contrôle de cette énergie et l'apprentissage de celui-ci qui est donc
valorisé.
Sans
l'apprentissage du contrôle de soi, la loi peut n'avoir aucun effet. Investir
sur l'apprentissage du contrôle de soi, de la mesure du passage à l'acte aurait
des chances d'une grande prévention, à tous les niveaux, apparemment ce n'est
pas le choix social qui est fait. Cet apprentissage du dosage de l’énergie pour
différents types de mise en forme de son énergie, passe par la définition des
limites personnelles et collectives et par l’apprentissage du dialogue et de la
créativité.
Passage à l'acte Zen
Le passage
à l'acte doit être en adéquation avec le jing, ( la nécessité) le chi (la force
suffisante) et le shen (la conscience de devoir agir pour la bonne cause). Le
passage à l'acte est lié, défini par le registre des volontés et de l'objectif
à atteindre.
Le passage
à l'acte mobilise les cinq organes les reins sur lesquels repose la qualité du
mouvement dans sa fluidité ; le foie (ministre de la défense) dans le fait de
voir et de désirer le but avec son complice (vésicule biliaire général des
armées) qui va exécuter la décision ; la rate dans le fait de la raison, de la
définition du but, du moment, de la stratégie à adopter ; les poumons dans la
capacité à engranger de l'énergie ; le coeur pour garantir la correspondance
entre son identité et l'environnement
extérieur, tout en assumant le calme dans l'action. Une faille dans ce bel
ensemble et c'est la pathologie de l'action. Chaque passage à l'acte sollicite
plus ou moins tel ou tel organe.
Le passage
à l’acte courageux (Nelson Mandela)
qui dérange, la révolte contre les abus de pouvoirs est un signe de bonne
santé, fera appel à toutes ces notions mais aussi à la prévention de savoir
comment accumuler de l'énergie, la renforcer, la distiller, la transmettre.
Le passage
à l’acte qui sait attendre, endurer, stabiliser, augmenter, embellir, émouvoir
aura plus de force dans sa mesure, sa densité, sa lenteur apparente. Le passage à l’acte qui se
contente seulement de défouler un trop plein d’énergie est une ineptie et un gaspillage.
Et pourtant nombreux sont les lieux qui favorisent cette règle de ce drôle de
jeu. Plus le passage à l’acte est subtile en utilisant la moindre force, plus
l’effet est puissant et efficient, tel une allumette qui peut créer un
incendie.
Son objet
s’impose et sans effort de volontarisme, son effet est aussi pertinent dans la
réalité qu’un tableau qui s’expose. La méditation serait-elle la subtilité
suprême de l'action ?
Toute
l'étude du Yi King, le grand Livre de la transformation nous invite à regarder
de près le rapport nécessaire entre l’énergie et le passage à l'acte. Il n’est
que cela, Fin stratège du passage à l‘acte. La
mesure de l'énergie pour passer à l'acte au bon moment avec l'énergie
juste pour accomplir son œuvre précieuse, dans l'accompagnement de son destin,
tout en sachant qu'agir ou ne pas agir a forcément des conséquences dont on ne
mesure pas tous les paramètres. Faire pour le mieux sans attendre de résultat.
Puisse cette réflexion inviter le lecteur à s'y plonger avec douceur.