dimanche 20 février 2022

 

Le revers de l’élitisme

 

-« Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien.

-"Je traverse la rue, je vous trouve du travail"

- "Des Gaulois réfractaires au changement"

- "Je ne céderai rien "ni aux fainéants, ni aux cyniques"

-"Certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d'aller regarder s'ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas, parce qu'il y en a qui ont les qualifications pour le faire et ce n'est pas loin de chez eux".

-"les femmes salariées de chez Gad sont "pour beaucoup, illettrées". 

 Autant de petites phrases égrenées, pour n'en retenir que quelques unes, qui ont pu m'interpeller sérieusement. Ce ne sont pas seulement des mots attachés les uns aux autres, pour remplir une banale discussion, ils ont été sciemment évoqués devant les caméras et journalistes pour qu'ils soient retranscrits,  ils ont  un sens et une portée, à fortiori provenant de notre président. Il s'agit en fait d'une éloquente démonstration de ce qui le porte : issu d'une élite, c'est devenu son moteur, sa composante, il ne jure que par l'élitisme.

Nombreux sont les aspirants à vouloir faire partie d’une élite,  mordre dans cette pomme qui amènerait à une certaine distinction paradisiaque. Cette notion d'élite s’inscrit dans toute la société et dans tous les registres, élite intellectuelle, élite sportive, élite des médiateurs, élite juridique, élite militaire ; même, élite religieuse pour n’évoquer que quelques tranches de ce fruit tant convoité. Déjà à ce niveau, on se rend compte que l’on y met pas tout à fait la même chose, ce qui d’emblé laisse percevoir le facteur relatif de la chose.

 « Ensemble de ceux qui, dans un groupe, une société sont considérés comme les meilleurs, ceux qui se distinguent par le mérite » dictionnaire de l’académie française.

Cette attirance, n’est pas innée, elle est acquise, inculquée et  déjà dès  le plus jeune âge. Elle  semble faire partie de toutes les instances, une sorte de règle du jeu tacite, admise et peu interrogée sur sa légitimité. Michaël Sandel parle de la « Tyrannie du mérite". Je m’autorise quelques questions : est-ce vraiment une « valeur » constituée ou n’y a-t-il pas un ver dans la pomme ? Peut-on porter un autre regard sur ce phénomène social ? L’excellence passe-telle systématiquement par adhésion à une élite ?

 Au nom du dépassement de soi, la compétition, les concours,  se diffusent insidieusement dans toutes les strates sociétales. Cette « norme » de l’inconscient collectif, prévaut, comme une loi, sur bien d’autres considérations.

 Dès l’école, le système de notification, n’est pas motivé seulement par l’acquisition d’un savoir mais surtout par la mise en place d’une hiérarchie des meilleurs, pour le service des meilleures  entreprises. Les « décrochés scolaires » sont là pour nous rappeler le gâchis dont ils sont l’objet, ce n’est pas qu’ils soient moins intelligents, mais que l’école telle qu’elle est pensée en fonction de l’élitisme, les exclut. Pour ceux qui sont sélectionnés, il s’ensuit la course aux diplômes, tous aussi sélectifs les uns que les autres. L’induction des professeurs, l’angoisse des parents pour que leur enfant réussisse, le besoin de reconnaissance des enfants tout concourt à faire exister cette machinerie, bien huilée, pour viser une performance. Or il n’est pas besoin de l’élitisme pour être performant. C’est oublier que les talents ne proviennent pas que des apprentissages du par cœur, c’est oublier que le prestige, lié à l'argent dans  une dimension sociologique, n’est pas une preuve d’un savoir faire, c’est oublier que l’angoisse des parents transmise aux enfants, ne leur donne pas de la force et l’assurance dont ils ont besoin, c’est oublier que le besoin de reconnaissance est essentiellement un besoin d’amour, moteur essentiel de leur évolution. C’est oublier que des génies créatifs peuvent se trouver en dehors d’un système  scolaire établi. Toutes ces sélections aboutissent à des exclusions, avec le lot de punitions dévalorisantes, contraire à l’unité qui enrichit le collectif.

 La pression mise sur certains étudiants par une autorité, sous prétexte de l’apprentissage à l’effort, comme celle accusée par des ouvriers par des cadences imposées ou celle subie par les sportifs par le passage "obligé" de la douleur lors des entrainements, n’engendre que des inégalités, des peurs : peur de ne pas réussir, peur de ne pas être à la hauteur, peur d’être mangé par l’autre  pour les entreprises, peur du manque, peur d’être laissé pour compte et d’être exclus d’un groupe, peur de l’étranger, etc. pouvant aller jusqu’au burn-out.  Mais la peur n’apporte aucun bénéfice et affaiblit les capacités d’initiative, elle parasite la spontanéité et les forces vives. On est loin d’un respect de l’évolution selon le rythme de chacun, forcément différent selon les individus.

 

Ces catégories normatives, formées à partir de normes culturelles, de l’argent et d’un carnet de relations, comme faisant parti d’une des « élus », ne se justifie pas. Toutes ces cooptations fluctuent selon des critères arbitraires et empêchent Les élites entre elles vont se faire la guerre, et à l’intérieur de cette caste, la règle d’être le plus fort, le ou la meilleure, bat son plein et favorise le développement des égos, parfois à couteaux tirés, comme s’il s’agissait de la seule voie de salut. Dans ces clubs fermés des privilèges,  tout est fait pour faire valoir l’arrogance, le mépris de ce qu’ils jugent comme inférieur à eux, comme s’il s’agissait de quelque chose de normal. Dans cette situation, le combat, l’obtention d’un pouvoir y est souvent  le graal où tout serait bon pour le sauvegarder, les combines, les manipulations et autres travers, mais de quoi est constituer  ce pouvoir et où mène t-il ? Rien de glorieux dans ces acquis éphémères ! L’élitisme nourrit intrinsèquement la violence, la prétention de tout connaître, tout en méconnaissant les limites de chaque savoir et en attisant les envies. "Nous sommes les meilleurs, les autres des sous- hommes" conduit  à des excès aberrants, entre familles, voisinages, nations, jusqu'à l'eugénisme. On voit où cela mène!

La pomme est pourrie

On peut s’interroger sur la définition de l’académie française « ensemble de ceux qui dans un groupe, une société sont considérés comme les meilleurs » mais comment se constitue ce groupe, ceux qui sont considérés par qui, et sur quelles références abstraites, et aléatoires du moment?  _ « qui se distinguent par le mérite » mais sur quoi se distingue le mérite ? Croire que seule, l’élite travaille est un leurre. Les femmes de ménage  et celles  et ceux qui se chargent de tâches ingrates sont bien plus méritants que bien des professions aux salaires mirobolants au confort ostentatoire.

sûr de lui

son diplôme le propulse

vers le doute

 Associer l’élitisme à un prestige honorifique, acquis par un  héritage conséquent montre bien, qu'il est fondé sur de la subjectivité et des croyances. L’appartenance à une élite, ne peut se prévaloir d’une moralité rayonnante, l’actualité fait état de bien des désillusions quand apparaissent des méfaits notoires et peu enviables. La relativité de cette notion cet apriori d’une élite, s'appuie sur rien de fiable, sur des fantasmes de toute puissance pour n’être qu’en bout de course qu’un mythe. Mais ce fantôme a la vie dure, même devant l’évidence. Cependant, certains individus, issus de ces « grandes écoles » atteignent, malgré leurs connaissances une grande humilité devant tout ce qu’ils ont encore à apprendre. Dans d'autres sphères es personnes issues de milieu plus modestes, doivent redoubler d'efforts pour s'élever socialement. Mais l'idéologie d'une "échelle sociale" signifie l'idée qu'il y aurait une hiérarchie, dans le subconscient collectif tout aussi arbitraire que l'image du "premier de cordée". L'élévation personnelle s'extrait de cette construction illusoire.

A vouloir être toujours le premier sur le podium engendre à un moment donné une chute, l’élitisme s’autodétruit. L’appartenance à une élite n’est pas le gage d’une intelligence. La rivalité dans un combat continuel promet tout le contraire d’une fraternité, jusqu’à en devenir anticonstitutionnel ! Croire à  l’unité  d’une société, dans ces conditions, dans un  refus notoire de la différence, relève de l’imposture intellectuelle.

 Le but d’une société juste et équitable devrait pouvoir organiser la valeur de tous les talents à quelque échelon qu’ils soient, pour le bien collectif. L'économique comme seul critère d'évolution devient destructeur. Chaque humain naît avec les mêmes besoins, avec les mêmes étapes de progression, enfants, adolescents, adultes, vieillards. La conscience individuelle est la même pour tous, dans la recherche d'une certaine sagesse, d'harmonie de félicité. Le quotidien déborde de preuves allant dans ce sens. A nous de nous en saisir. Notre pleine présence en chaque acte, nous y conduit. Dans chaque parole nous pouvons vérifier si derrière ces énoncés, ne se cachent pas l'élitisme. Dès lors l'argument est discréditer de lui même, puisque sans fondement. Une clé pour le discernement.

 

Le pouvoir calé

en douteuses certitudes

passe la mode

 

Les élites se délitent

 

 

 

Serge Blanchard