mercredi 6 novembre 2019

L'alchimie taoïste de l'incarnation spirituelle : mouvement et pensée.

L'alchimie taoïste
de l'incarnation spirituelle :
mouvement et pensée.

           Mouvement du corps, mouvement individuel ou collectif, mouvement du tai chi, mouvements et gestes d'un code social, d'une danse, d'un sport, d'un travail… action du cerveau sur un mouvement ou action du mouvement sur le cerveau ; l'un ou l'autre peut être étudié séparément. Il est rarement fait état du lien interactif et correctif entre pensée et mouvement. Les mouvements de Qi-gong ont pourtant le mérite d'associer par déductions d'observations, le nom d'un animal, qui symbolise au mieux l'attitude correspondante avec l'état mental et psychologique du participant. La naissance d'une idée issue du mouvement ou la création du mouvement issue d'une pensée est un thème intrinsèque à la philosophie taoïste, d'où la référence au mouvement codifié et répertorié comme pouvant devenir un geste guérisseur. La pensée induit le mouvement, le mouvement induit la pensée. L’incidence mutuelle de l’un sur l’autre compose la transformation de l'être. La pensée et mouvement s’interfèrent sans cesse. La structuration de la pensée prend forme et corps par le mouvement. Intéressons nous à cette interaction et à son processus transformationnel.

Du mouvement archaïque à l'émotion subtile

     Certains mouvements possèdent leur régularité naturelle : des battements du coeur, le soufflet des poumons, le clignement des paupières, les spasmes intestinaux, la cadence de la marche, le balancement des bras, le roulement multidirectionnel des yeux et de la tête. Ils assument la fonction instinctive de régulation, de protection des différents organes mais aussi d'intégration dans le social par la communication non-verbale.

     Le visage et les mains, parties les plus dénudées et visibles du corps, visualisent en eux-mêmes les mouvements instinctifs ou volontaires, émetteurs des intentions ou inducteurs de la pensée, lieu de transmutation des émotions. L'acte volontaire intervient quand l'humain utilise cette potentialité pour confirmer l'expression de son être. Les mimiques et les grimaces traduisent la pensée, mais elles la modifient également. Provoquer, par exemple, volontairement le sourire, même si cela paraît artificiel, introduit une pensée positive dans le comportement, tout comme le geste et le mouvement ont la capacité de transformer les émotions. L'émergence de la pensée en adéquation avec le geste amène le sourire involontaire, critère d'excellence en la matière, pour les professeurs de Tai Chi. La lecture des grimaces- colère, fatigue ou abattement, enthousiasme, euphorie, soucis, ou au contraire apaisement se vérifie assez facilement, ces codes individuels et sociaux se voient. La mobilisation volontaire du faciès et la mise en scène des grimaces pour obtenir une transfiguration émotionnelle est non seulement possible mais souhaitable.

      Le Qi Gong ou le yoga des yeux, que certains semblent découvrir seulement maintenant (emdr), montrent bien ce rapport étroit entre le mouvement et la pensée. Non seulement il donne forme à la pensée mais il peut ramener à la conscience des traumatismes anciens pour les appréhender avec moins de frayeur. Les mudras (gestiques des doigts) peuvent être répertoriés également dans cette catégorie de gestes guérisseurs. Le geste et le mouvement est au corps ce que la mimique est au visage. C'est donc tout le corps qui participe à l'élaboration de la pensée et au vécu émotionnel.
« Bouges- toi » : la sagesse du mouvement ente l'inertie et le débordement.
L'inertie, absence de mouvement, colle à la peau de la déprime, tout comme l'agitation, les mouvements excessifs du révolté ou désordonnés de l'alcoolique flirte ave la folie. L'appareil de la mesure, du geste posé et du mouvement harmonieux et donc de la pensée juste, perdent leur nature dans ces cas de figure.

     L'intuition de la maman exacerbée et désespérée de voir son grand adolescent déprimant dans son lit à ne rien faire, est pertinente dans son « allez, bouges-toi, remues-toi, secoues-toi, fais quelque chose » ! et intuitivement l'ado en question, sait que s'il s'exécutait, ses arguments, qui le maintiennent en opposition, ne tiendraient plus.

      Le mouvement a raison d'une pensée rebelle ou tenace. La méthode Coué ne suffit pas. Les thérapies qui évitent de passer par le corps, c'est à dire par le mouvement, par l'énergie, ne privilégiant que l'approche verbale, peuvent s'avérer beaucoup plus longues. Elles favorisent la remontée d'énergie dans la tête au détriment de la mise en forme du shen. Elles font ainsi l'économie d'une expression créative (énergie du bassin) et d'un mouvement porteur (énergie des membres), cette implication risque de rester seulement « mentale », non-incarnée.

Ecouter une plainte est certes salutaire, elle le sera encore plus si le thérapeute propose des gestes ou mouvements et respirations adéquates qui intègre le mal-être, lui donne un peu de force pour être extériorisé, identifié. Il est donc plus facile d'y remédier. La transformation de la souffrance passe par l'alchimie de l'énergie enregistrée par les organes. L'essence même de la souffrance physique ou psychologique en sera modifiée.

Le mouvement : unification et cohérence des trois trésors

     Comment cela est-il possible? La grande solidarité des organes, des méridiens, des viscères et des trois trésors que sont le Shen, représentant la conscience, la pensée, l'intention, le cerveau ; le Qi-souffle représentant les émotions, les affects, la circulation de l'énergie, la poitrine ; le Jing représentant l'essence vitale, le faire, le mouvement, le bassin, leur très grande interdépendance et connivence donc, se consolide mutuellement. Ils se nourrissent les uns et les autres. La pensée a besoin de chaque partie du corps, imbibée d'énergie, de l'intention et du mouvement. Tout cela ne fait qu'un.

     Le mouvement a la particularité de transmettre une certaine chaleur qui dilate les vaisseaux. La fluidité de l'énergie, a de ce fait, une incidence sur la circulation du sang et des neurones. Le mouvement réveille le corps, et en particulier la conscience de l'être, mise en veilleuse dans le tan-tien, lieu énergétique sous le nombril. Selon qu'il va solliciter la partie inférieure, moyenne ou supérieure du corps, l'incidence du mouvement ne sera pas la même sur la conscience. Si la pensée n'est pas en accord avec le mouvement, le décalage se fera sentir entre le dire (expression de la parole ou du regard) et le faire (bassin ou membres). Être en accord avec le mouvement amène à une pensée cohérente et une guérison.

     Le mouvement est essentiellement acquis par la mobilisation des bras, des jambes, du bassin et du souffle. Or curieusement, dans la philosophie taoïste, la pensée est germinée, engrangée par la rate et estomac, tout comme en dépendent... les membres inférieurs et supérieurs, initiateurs du mouvement. La logique qui en découle : le lien évident entre mouvement et pensée, ils sont associés, complices révélateurs et inter-mutants du spectacle de l'être en quête de son absolu. Le grand moment ou tout semble s'accorder pour combler le sentiment d'existence est bien sûr, la véritable chorégraphie de l'orgasme.

     Le jeu du mouvement spontanné, où l'énergie seule, guide le mouvement donne des images et des pensées inattendues, surprenantes, provenant de l'Un-conscient. L'énergie emmagasinée par différentes postures et gestuelles respiratoires, commande le mouvement, lequel à son tour transforme la pensée Le mouvement permet ainsi une évolution personnelle. La gestuelle des mains va contrôler la pensée. La douceur des mouvements de Qi gong ou Tai Chi amèneront la fluidité de la pensée juste, adaptation, constance, pertinence des réponses adéquates : la certitude d'être bien avec soi-même.

Conditions

     Pour être cohérent jusqu'au bout, ce mouvement réparateur doit répondre à certaines conditions. On l'a vu, il doit être imprégné 
          -de Qi, c'est à dire d'une intention, et du souffle, faute de quoi il apparaîtra comme simplement mécanique, vide et creux et dans ce cas il aura un effet pervers sur la pensée qui sera elle aussi, vide et creuse.
         -Le mouvement s'inscrit dans le temps. Il doit être répété comme un mantra, mais cette répétition doit être limitée, pour que l'énergie fasse aboutir toute son efficacité. Par contre si ce mouvement est répété à longueur de journée, il devient aliénant. Il semblerait que dix minutes soient un tempo signifiant pour l’émergence d'une pensée.
         -Le troisième facteur de réussite est l'impératif du repos, tout comme la digestion suit un repas et la nuit suit le jour. Et c'est encore mieux si cette intention, imprégnée de Qi, du mouvement inspirateur-repos est suivi d'une intégration verbale, écrite ou picturale. C'est ce que veut dire une phrase biblique « et le verbe s'est fait chaire ». L'essence de l'être, la parole prend forme, Le shen s'extériorise. La transformation et la régulation des émotions, la véritable spiritualité, passent par le corps pour être comprises, intégrées. La pensée chorégraphiée où mouvement et pensée s'enchevêtrent, prend de la consistance et s'unifie dans son évolution avec le souffle, le Qi. Le mouvement du sourire intérieur crée l'alchimie de l'incarnation spirituelle.

du mouvement à la manipulation sociale

     Contrairement à certains préjugés, il n'est pas nécessaire de passer par la souffrance pour que ce mouvement traduise une pensée claire. Les gestes et mouvements du travail répétitif en excès annihilent la pensée. Les cadences et la compétition ne sont pas des mouvements porteurs d'un développement de la pensée, d'une connaissance de soi, de maîtrise et de maturité, mais au contraire d'un affaiblissement de la conscience. Le mouvement stéréotypé et abusé, induit une pensée esclave, une pensée unique. Le mouvement agité combine la pensée agitée, il brasse du vent. Le méridien vésicule biliaire s'y perd et donc ses capacités de décisions. Mais à l'inverse la pensée agitée ou angoissée provoque le mouvement tout aussi signifiant, tel le mouvement de bascule ou d'agitation des mains chez les psychotiques qui sont une manière de calmer leurs angoisses existentielles.

     L'intensité du mouvement inducteur de la pensée prend évidemment une autre force quand une foule s'en empare. Du mouvement codifié au décryptage du sens, l'espace de la manipulation sociale peut être proche, raison de plus pour affiner le discernement de l'interaction « mouvement corporel-pensée ».
     Le poing fermé va engendrer la colère ; tous ceux qui ne pratiquent toute la journée que ces attitudes guerrières n'attendront qu'une chose : à la moindre occasion en découdre. L'étude sociologique des danses de rue, à la mode, peut permettre de comprendre ses acteurs.
Vague du Holla des supportères est tout aussi mobilisante que certains saluts militaires ou paramilitaires. Le « tendre la main » du mendiant ou n'a pas la même signification psychique que le « lever du poing » du militant.

Mouvement : parole du corps

     Ainsi donc il serait sans doute possible d'établir un dictionnaire du mouvement, celui qui guérit ou celui qui aguerrit, celui qui apaise ou celui qui engendre la transformation, celui qui fait sourire ou qui provoque l'agressivité.

     Outre le fait de l'ouverture des méridiens qui transmet le flux énergétique aux organes la posture des exercices de Qi Gong est hautement symbolique. Et ces symboles rejoignent un langage quasi universel. Si nous proposons des situations mentales en demandant de mimer par le corps et le mouvement, l'expression, il y a de grandes chances que tout le monde comprenne ce langage évocateur, voici quelques exemples non exhaustifs:

« Se sortir de sa médiocrité, se grandir » trouvera facilement sa réponse dans la posture s'imaginant s'aider des mains pour prendre fortement appuis, poignets pliés, en redressant la tête.
« retrouver sa dignité, oser s'affirmer » fera bomber le torse en ouvrant les bras.
« accueillir l'avenir » délèguera la responsabilité aux mains détendues placées devant soi, en les faisant revenir vers la poitrine.
« rejeter ou repousser l'ennemi » impliquera la propulsion vives des bras en avant.
« se donner de l'espace » tendra les bras de chaque côté du corps à l'horizontal comme s'ils poussaient les murs.
« évacuer le stress » pourra se symboliser par des jets des mains, forts et puissants, devant soi vers le sol, répétées de manière ardente pour être persuasives. Les mâchoires et les yeux vont suivre spontanément, en se serrant comme pour mieux se concentrer sur cette évacuation.
« Renforcer son identité » sollicitera les deux poings fermés l'un sur l'autre, comme pour enfoncer une épée d'énergie.

     Ainsi toutes les suggestions suivantes peuvent trouver leur résonance dans un mouvement, que chacun peut s'approprier : « ouvrir son cœur » ; « quitter le passé » ; « accueillir le ciel » ; « s'investir dans un geste de délicatesse » ; « trouver son inspiration » ; « concentrer et densifier son énergie » ; « stabiliser, s'ancrer ». il en est de même si l'on demande de mimer la colère, la peur, l'effrois, l'étonnement, l'enthousiasme

     La mort du grand mime Marceau devrait nous rappeler, par son silence, la constance du lien entre l'intention, le souffle et le mouvement, entre le corps et la pensée, entre les émotions et la fluidité de la vie, rejoignant ainsi la transmission de la philosophie taoïste. Honneur à lui !

jeudi 13 juin 2019

L’aimant de l'été


L’aimant de l'été



Hasard de l'orthographe ou compréhension singulière de la vie, l'aimant, celui qui aime et l'aimant, celui qui attire la polarité inverse mais complémentaire, s'écrivent de la même manière. Le phénomène attractif des cœurs  et des corps, plus sensible en période estivale, exprime une forme de vie dont le mystère, pensé par la philosophie taoïste, interroge et surprend encore nos pensées occidentales, par le sens qui sous-tend cette manifestation du Chi. Cette puissante attraction du masculin et du féminin, du Yin et du Yang questionne le fondement de notre identité.


L'eau et le feu s' aimantent


La chaleur monte et l'eau descend, et pourtant se recherchent. Les deux réunis produisent une alchimie particulière quand l'eau est au dessus du feu et un autre potentiel quand ces deux fonctions suivent leur cours naturel de séparation pour se singulariser. Mais autre constat, si la sève monte et la pluie descend, le chaud attire également le froid, le bouillonnement  du chaos mental aspire à la paix mentale. La métaphore du feu sous la casserole  pour la cuisson  d'un met suggère bien, le délicat dosage du feu, de l'eau, des ingrédients, du temps, pour qu'il devienne savoureux.
En chaque être existe le chaudron, l'eau (les reins) et le feu (le cœur) quelque soit sa couleur de peau. Chacun va chercher au plus profond de lui même ce qui va mobiliser l'essence chaleureuse de son identité propre, faire bouillir l'eau (action) pour une combustion agréable de son énergie du cœur, laquelle aura une incidence sur l'élévation de sa conscience. Intuitivement et spécifiquement tout être est attiré par le langage du cœur que sont l'émerveillement, le rire, la joie, l'enthousiasme, la chaleur. « Le cœur est en l'homme, celui qui tient la place de souverain, face au sud » (Su Wen 6 et 8) « Il propage partout le feu de la vie, la puissance et le goût de vivre » (Claude Larre). Il a besoin pour cela, d'être appuyé par le langage des reins que sont l'endurance, l'action, la force, la protection, la sécurité. Depuis sa conception cette énergie fécondée va s'orienter vers son plein potentiel et la maturation de sa conscience perfectible à l'infini, sorte d'absolu toujours insaisissable, en tenant, ensemble, le langage du cœur et celui des reins. Il sait ce qui lui convient, devant chaque choix  il se pose la question de cette adéquation maximale. L'être humain (homme ou femme) est donc « naturellement » attiré par tout ce qui va pouvoir l'épanouir, au risque de se brûler les ailes  quand le choix  de qu'il croyait être bon pour lui, s'avère être une fausse croyance, ou  le vérifier par la négative quand l'individu place sa confiance en une énergie prometteuse mais qui aura été déviée ou détournée de son objectif, perçue alors comme une trahison.
Le langage du cœur est plus particulièrement porté par la femme celui des reins par l'homme. C'est donc la femme qui guide cette attraction, puisque dans l'idéal, c'est le cœur de la femme qui va faire grandir la conscience de l'humanité, l'homme devrait  en être le garant,  le soutien de cette énergie, de son entretien et de sa mise en forme. Dans la relation sexuelle, la femme veut élever les débats, connaître les fondements de la vie, la source qui dans la matière amène de la chaleur à son cœur et à son hypothalamus, à savoir l'impulsion du chi, mouvement puissant des flagelles des spermatozoïdes, transmise par voie externe masculine;  l' homme veut connaître les sommets de la conscience, l'initiation spirituelle par la voie interne féminine. Suivant cette logique, l'un ne peut aller sans l'autre, le spirituel ne peut  se dissocier de la sexualité et vice versa. Les séparer revient à les dénaturer, à les pervertir mutuellement. Chaque expérience pouvant devenir à ce titre un enrichissement personnel.  Tous les loupés, pannes, dérives en tout genre ne sont, par la négative, que des confirmations de cette quête manquée, d'où frustration, incompréhensions, amertumes. Certains préféreront des ersatz de cette expérience tout en sachant que ce ne sont que des illusions, plutôt que de ne rien vivre du tout. Ils veulent approcher, un tant soi peu, sans être dupe d'eux-mêmes, cette dimension d'un sentiment profond d'existence. Dans un long terme, s'ils sont répétés, ces vécus spirituels sans sexualité peuvent brûler la conscience, (folie , hystérie ou autre cancer) ou la débauche sexuelle sans référence à un développement de la conscience devient une perdition d'énergie suicidaire (dégoût de vivre, agressions défensives, attirance vers les bas fonds). Dans les deux situations, c'est une perte de sens.
La prostitution est bien sûr le meilleur exemple de cette duperie, de cette usurpation : la prostituée, qui sait allumer le feu, fait croire à une relation d'amour alors qu'il ne s'agit que d'une transaction financière, qu' elle est capable de faire payer très cher, tellement elle a faim de sécurité, pensant indûment qu'elle va, de cette manière, se grandir ; le client se prête au jeu, prêt à payer très cher cette illusion de reconnaissance tellement il a soif de cette complétude, pensant indûment qu'il va, de cette manière, atteindre cette aspiration élévatrice.

Il n'empêche que la puissante attraction de deux êtres est bien basée sur cette perception radicale que cette bipolarité, spirituelle et sexuelle, tellement fondamentale, serait intuitivement rendue possible. N'appelons pas « inconscient » ce qui est instinctif, il s'agit d'une pulsion inéluctable, d'une volonté de réalisation et d'épanouissement mutuel parce que notre Jing (énergie ancestrale) notre Shen (énergie de conscience) et notre Chi (énergie du mouvement) sont ainsi constitués, chaque être est propulsé depuis sa naissance vers l'accomplissement de sa maturation d'homme ou de femme. Synthèse de l'eau et du feu dont la combustion, vapeur élégante, élève le niveau de vie. La philosophie taoïste nous apprend à conduire cette pulsion de manière noble et mesurée. Elle apprend aussi à respecter la nature des choses : l'aimantation respective pour se grandir  mutuellement. C'est donc l'espoir, l'anticipation des possibles et la volonté d'un accomplissement qui crée cette attraction. Pourquoi cette personne là plus tôt qu'une autre? Les informations électriques et subtiles entre chaque être répondent à des interactions de correspondances. En ce moment là de la vie de chacun, les atomes ont suffisamment de croches et de demi- croches entre eux pour que la partition devienne harmonieuse, et que la musique s'entende au loin.



Le calme du cœur : préface du yin

Si le foie entraîne sa foi précipitamment et avec fougue, au moindre coup d'œil complice et si les deux cœurs s'échauffent au point d'en perdre la raison, le feu des passions risquent fort de tourner au feu de paille. La préface d'un livre donne beaucoup d'indications quant à la lecture du livre. Le yang du foie des deux partenaires mais de l'homme en particulier, devra s'assurer que les reins le suivent bien, c'est à dire la tranquillité et la force. Il devra donc au préalable faire retraite pour vérifier sa fidélité à lui-même, la cohérence de ses actions et de sa logique. S'il sent intérieurement qu'il ne se reconnaît pas dans une relation le cœur sera troublé, perturbé voire blessé ou humilié. Le déni d'une inadéquation n'apporte qu'embrouille et déstructuration. La paix mentale devient une condition sine-qua-non à la mise en place du feu tant désiré. Les deux partenaires ne peuvent faire l'économie de l'apaisement des cinq émotions essentielles (colère, exubérance, soucis, peur, chagrin), de la stabilité émotionnelle alors même qu'elle est bousculée, de la clarification de la pensée avant la symbiose fusionnelle. La confiance et la sérénité (l'eau) assureront la paix des cœurs  pour qu'ils puissent s'ouvrir dans un enthousiasme orgasmique (feu) dans une expansion exponentielle pour l'humanité (conjugaison de l'eau et du feu). On comprendra facilement que cette phase préalable de la rencontre, à l'heure où la « modernité » invite au « vite fait dans la précipitation » ou au « tout,  tout de suite,  consommable et jetable » est la plus difficile à atteindre. Le ralentissement de la respiration redonnera le pouvoir aux poumons, de calmer les esprits, et de réguler ces forces en présences, c'est aussi leur rôle. 



Du flirt du Yin au coup de foudre

On l'aura compris la relation intime demande beaucoup d'attention, de précaution,  de cadre entourant,  enveloppant et sécurisant pour que la puissance du yin puisse se développer. Savoir écouter le yin est un art très particulier. Loin d'être une faiblesse ou une vulnérabilité, avoir accès à ce qui semble le plus fragile de l'être et qui néanmoins s'avère être le plus créateur est le défi que nous propose la danse du yin ; du flirt, il est capable de déployer un coup de foudre.
La petite sensation des mains de la coiffeuse qui glisse sur le méridien vésicule biliaire, pendant le shampoing, va électriser tout le corps et faire fondre les plus vives tensions ; le film qui va rappeler la nostalgie d'une expérience de bonheur aura le pouvoir de faire vibrer une partie du cœur ; une musique, une vraie écoute et un profond regard peuvent faire pleurer parce que la beauté, en soi, anéantie  les raisons d'être méchant. Ce sont les trésors du yin. On touche à ce qui fait le moteur de la vie, le yin est là avant d'être yang. « Le mystère de la vie  doit rester dans les profondeurs, abrité et caché ; il ne doit jamais se monter à nu, sans le couvert et la protection du yang » (Su Wen). Ici encore, il n'est pas question « d'inconscient » mais seulement d'un potentiel de vie qui doit être protégé d'où les systèmes de défenses organiques et psychologiques absolument indispensables qui ont leurs fonctions et utilités. C’est donc une erreur de vouloir casser ces systèmes de défense que certains appellent carapaces.
C'est dans ces conditions environnementales confortables, à ce moment-là seulement, que le yin peut se déployer, se développer s'exprimer, en prenant une forme mentale et physique dans la relation amoureuse. Cette forme peut s'appeler « illumination ». La recherche ésotérique d'autres états de conscience, en quête d'un autre ailleurs, pour un extra-ordinaire pouvoir, se trompe quand  elle néglige cette base  et ce fondement de l'écoute du Yin : source de toute créativité. La magie de l'émergence de cette forme, qui vient dont on ne sait où, pour s'infiltrer dans notre conscience, pendant l'écoute du yin, serait bien, au fond, ce qui a conduit cette attraction aimante dans les deux sens du terme.

La fluidité du Ying invite le Yang à prendre le pouvoir


C'est lorsque l'homme va pouvoir écouter le yin de la femme qu'il va retrouver son yang. Et plus il l'écoute, plus il devient excité. Son activation va induire la cadence, donner le rythme, le tempo, la consistance à cet mouvement de vie, qui demande à prendre forme. Mais alors même que l'homme aura tendance à se précipiter pour aboutir à ce qui le pousse avec insistance et impatience, l'explosion de sa pulsion pour être, il devra ralentir pour attendre sa compagne et celle-ci alors même qu'elle voudra ralentir pour garder en suspens son ressentit de puissance de vie qu'elle voudrait garder dans la durée, elle devra accepter de lâcher le contrôle pour rejoindre son compagnon. Activation ou ralentissement de la respiration viendront, pour les deux partenaires, synchroniser cette expérience de vivre l'intensité de l'orgasme ensemble. Le chi, en tant que tel, est alors à l'honneur pour que la santé rejoigne la sexualité et la spiritualité. Indéniablement transformé chaque être ré-expérimente une autre phase yin où l'énergie pure produit son alchimie d'expansion, d'unification,  de gratification, nourrissant ainsi tous les organes pour une consolidation d'existence, sans que la volonté soit en action.

Outre le fait que chaque partenaire puisse considérer chaque relation sexuelle comme un révélateur de lui-même et comme une occasion de se parfaire, la  philosophie taoïste nous montre que la danse du Yin et du Yang devrait nous permettre de reconsidérer certains a-priori sur la place de chacun, masculin et féminin dans la conception de l'action,  de la santé et de la transformation spirituelle de la société...Le magnétisme aimant ! Un long chemin vers lequel on peut tendre avec tendresse,  sans rivalité, sans esprit de possession.

mercredi 22 mai 2019

Forces de l'Habitude et du Rituel



Forces de l'Habitude et du Rituel




La force de l'habitude est tellement quotidienne qu'on peut l'endosser comme un habit, une seconde nature. La force du rituel est tellement fascinante et attractive, qu'elle est partie intégrante de la vie humaine et intervient dans la plupart des circonstances de la vie, sous tous les méridiens culturels. Prenons le temps de  porter un regard taoïste sur ces deux forces, habitudes et rituels, qui vont sans doute bien au-delà des apparences. Il serait dommage en effet de négliger l'étude, l'observation rigoureuse des habitudes et des rituels auxquels on se soumet. Ils constituent le terreau de bien des comportements, de notre dynamique énergétique en devenir. Il est donc intéressant de s'arrêter sur ce qui peut les modifier.


Habitude
Selon la manière relative de voir les choses, chère aux taoïstes, les habitudes peuvent se situer sur le versant porteur d'une aide sécurisante ou sur le versant d'une certaine aliénation encombrante.
Sur le versant de la sécurisation, on ne se pose plus de questions, l'énergie de l'habitude, mise en œuvre dans l'action se trouve ainsi, ordonnée, mesurée, en donnant un repère sur lequel on s'appuie pour avancer, à force de la répéter, elle prend le relais du cerveau et de son registre parasympathique, et devient une sorte de réflexe conditionné. La répétition facilite les choses parce que l'on connaît l'effet, l'efficacité et le résultat attendu. A certains moments elle peut même s'inscrire dans un cycle saisonnier ou servir de repère pour de bons voisinages et entente sociale. Cette alliée de la volonté et de l'action s'assimile à une économie d'énergie, et un savoir-faire évident.

L’apprentissage, de quelque discipline que ce soit,  se soumet à la rigueur décapante de la répétition pour que le geste, la leçon, s’installe comme une habitude. A la question « comment percevoir l’énergie» ? Le maître en Chi Gong n’aura d’autres réponses que celle-ci : « pratique, pratique, pratique, et encore pratique…!» pour bien faire comprendre que la connaissance s'intègre par le corps. L’intuition qu'une évolution est possible par ce biais, même si elle se fait par pallier, donne la confiance pour s’engager pleinement dans une action déterminée et l'acceptation des efforts. L’épreuve de la constance est bien le préalable de l’habitude. Cette assimilation des données équivaut à la digestion et à l'ordonnancement de la rate et estomac.
Qu’il s’agisse des acquis intellectuels, nourriciers ou sociaux la rate et l’estomac vont faire valoir leurs fonctions : disséquer, décomposer, mélanger, assimiler les divers éléments pour enfin s’approprier les formes culturelles en une forme personnalisée propre et habituelle. Les habitudes sont des informations qualitatives que la rate et estomac apprécient particulièrement.
Mais pour peu que la rate soit en vide d’énergie, la peur du manque de nourriture va  induire la recherche de l’habitude plus que celle d’une ouverture à une alimentation variée : nouveaux produits, goûts différents, nouveaux échanges, nouvelles façons de faire, nouvelles façons de vivre. Le principe de vouloir rester sur ses acquis pourrait bien être le témoin de cette peur viscérale du vide et du manque, de perte de ses habitudes. La peur de l’inattendu, du nouveau, de l’étrange, de l’étranger font obstacle à la créativité. Refuser d’écouter cette donnée met en échec tout effort de transformation. L’habitude peut devenir un piège, un enferment obsessionnel. Toutes les addictions, jeux drogues, alcool, sexe, etc.… ne sont que le reflet externe d’une angoisse existentielle interne, la peur d'un grand vide du cœur et de la rate. A des degrés différents, l'habitude fonctionne comme un véritable rempart contre l'angoisse ; si elle n'existe plus, une panique indescriptible et incontrôlable prend le dessus. Cette  souffrance se manifeste dans les « troubles obsessionnels du comportement », l'autisme ou les grandes psychoses.
Pour peu que l’énergie soit en stagnation, l’habitude prend les couleurs de l’ennui, de la routine désabusée. L'habitude de gestes répétitifs pour combler un vide donnera l’illusion d’une sécurisation qui ne sera en fait qu’une aliénation de non-vie, une sorte d’inertie familiale, culturelle, sociale. Le brouhaha télévisuel qui s'invite à chaque repas, comme un antidote de l'ennui, n'est pas une preuve de communication et de dialogue entre les partenaires familiaux, ni d'un enrichissement intellectuel.
Pour peu que l'énergie de la rate estomac soit en excès, l'habitude prend la forme de l'arrogance et du mépris, de la suffisance, imbus d'un pouvoir improprement possédé, ne reconnaissant plus la richesse de la différence. La rate et l'estomac, forts de leurs stockages inconsidérés, méprisent l'équité et la distribution de l'énergie. Cette fonction noble et primordiale de cet organe est tout simplement détournée au détriment des autres organes. En correspondance avec cette rate individuelle qui se dilate, le collectif en pâtis : tout lien social qui devrait être solidaire, devient occasion d'asservissement de ceux qui ne sont pas dans ces habitudes auxquelles chacun devrait se soumettre.


Changer ses habitudes
Un autre piège de l’habitude serait de considérer celle-ci comme une donnée innée voire éternelle, alors que lepassage même confortable est toujours transitoire. Si elle est peut être considérée comme une force d’adaptation et de facilitation, elle doit rester à ce niveau. Elle s'avère opérante dans un contexte particulier. Une habitude se détruit d’elle-même si elle en reste au stade de l’habitude, elle se pervertit par la perte de sens. Elle doit sans cesse être remise en cause.  La transformation, la mobilisation de l’énergie, le mouvement frappent à la porte de la conscience vitale. L’habitude personnelle, familiale, sociale, tellement inscrite qu’elle devient force de loi, devrait bien se laisser interroger sur ses principes de support d'une évolution progressive ou d'un renforcement d’une aliénation. Qu'il s'agisse de l'habitude du dialogue sous ses différentes expressions, de l'habitude à supporter la souffrance ou la misère, de l'habitude de faire du zèle, de l'habitude du déni de la réalité, de l'habitude de tout changer à toute vitesse sans explications, de l'habitude de la plainte, du désespoir, de l’agressivité, de la violence, de la dépendance, tous ces « acquis » ne sont pas forcément des amis de la liberté, de la structuration d'une paix intérieure.
Quand les habitudes deviennent des éteignoirs, de vie, d'objectifs à atteindre quand profondément la conscience se sent prise au piège d'une non-conformité avec ce qu'elle devrait être, alors il est grand temps de les changer. Or ce sont précisément les habitudes qui manifestent le plus de réticence et de résistance à la transformation, d'autant que certaines remontent assez loin dans le temps, et plus on a tardé à les mettre en cause, plus elles sont tenaces. Le fait de savoir qu'une habitude ne convient plus, la raison, une fois éclairée, ne suffit pas à s'en détacher, tellement les tissus en sont imprégnés. Bien qu'elles ne se réduisent pas à une simple problématique d'habitude, la cigarette et la bouteille, le téléphone portable, le jeu, les faits et  gestes quotidiens séduisent tout autant, même après des prises de conscience d'une autodestruction.
Une réelle stratégie énergétique doit être mise en œuvre pour passer à autre chose. Certains points d'acupuncture et autre pharmacopée peuvent y aider. Changer une habitude par une autre ne convient pas (le tabac par la boulimie), tant que l'émotion initiale qui a induit cette habitude n'est pas touchée du doigt. Dans notre contexte occidental, on oublie trop la force du rituel comme élément de transformation.

L'acte initiatique  du rituel.
Comment cela est-il possible ? Paradoxalement, c'est sans doute par un rituel que le cœur, et donc tout l'être peut retrouver sa force de contrôle sur  les mauvaises habitudes que la rate a acquise. Le rituel ne peut être confondu à une habitude, il va bien au-delà. Ritualiser les habitudes permet de les transcender et de les transformer : « tout corps participant à une action cyclique prolongée et répétée se transmute en se purifiant » dans « le Corps Taoïste »Kristofer  Schipper prêtre Taoïste  
Un cadre, dans un endroit et un temps précis, rassemblant un petit nombre dans le but de déposer de mauvaises habitudes aliénantes, confère à ce regroupement de personnes, une énergie, une capacité thérapeutique en soi, dès lors que la règle du respect, du non jugement est codifiée.

La force du rituel rétablit un cadre sécurisant, qui permet à l'inconscient, à l'intime du cœur, de s'exprimer, et à une énergie nouvelle de s'instaurer. Le rituel fonctionne comme les reins qui portent les forces d’endurance, lieu d'épuration qui met en lumière le principe même de la vie. En lui-même, le rituel est porteur de renouveau.  Le rituel situé dans un contexte sacralise l'individuel et le collectif. Il officie une fonction de lien, lien entre les organes eux-mêmes, entre la personne et son entourage, entre le passé et le présent, entre le présent et son propre avenir, entre les ancêtres et les descendants, entre l'intérieur et l'extérieur, il relie la naissance et la mort, les points cardinaux et le tout. Il sécurise et donne la notion d'apprivoisements des forces qui nous dépassent. Le rituel permet de nommer des limites et de concentrer, tout en faisant circuler l'énergie et en la libérant, il nous fait rentrer dans un univers émotionnel particulier, comme le font les poumons dans la cage thoracique.

Dans ce cadre nécessaire, l'émotion perturbatrice va pouvoir se laisser vivre pour être portée vers sa mutation, et l'énergie vitale va ainsi  pouvoir reprendre tous ses droits, retrouver  toute sa force d'expression. L'utilisation des symboles amplifie et signifie la prise en compte de la souffrance. Ce cadre sécurisant permet aussi d'accueillir l’émergence de l’énergie dans sa pureté. Cette énergie issue des profondeurs, vient dont on ne sait où... de l'inconscient pour certains, des dieux pour d'autres. Elle devient « miracle », ou « révélation », une  sorte de grande illumination, faute de pouvoir expliquer la force de cette énergie, tellement la concentration d'énergie puissante peut être guérissante. Elle peut même se traduire par de l’écriture médiumnique et spontanée, de la transe ou une manifestation onirique comme une véritable inspiration. Cet espace prend le caractère d'une aire sacrée du fait de cette intensité.

 Le symbole et la force du symbole, dans ce cadre, donne forme à une nouvelle réalité un sens, un sens porté à sa densité extrême. Le rituel est l’art de la forme. Plus le rituel sera complet, c'est à dire pouvant regrouper des moyens d'expressions variées tels que  danses spontanées, musiques, images, la peinture, le dessin, l'argile ou autre support, mais aussi des pratiques corporelles orchestrées, Chi Gong, Tai Chi, massage et magnétisme Taoïste ainsi que des manifestations des souffles par des chants ou vocalises spécifiques, théâtralisations symboliques, plus son effet sera puissant et durable. La déposition d'un mal-être dans ce contexte collectif du rituel, laisse place à cette énergie qui touche et émeut profondément le cœur et les reins. La conscience d'appartenir à un « ensemble », dans une connivence sociale réunifie le corps et le corps social. Œuvrer à son perfectionnement par une action consciente et pertinente, dans un cadre spécifiquement élaboré pour cela, ennoblit le cœur. C'est en ce sens que le rite du passage prend toute sa valeur, le passage d'un état de moribond à celui d'un être un peu plus joyeux, léger et rayonnant, donc un peu plus conscient de sa place. Le corps ainsi unifié en son microcosme rejoint l'harmonie du cosmos, macrocosme, la culture de soi dans le sens de l’ordre cosmique. C'est sans doute pour cela que les temples sont si fédérateurs d'une communauté. Mais s'est aussi par ce caractère commun et universel à tout être que les temples ne peuvent être la propriété de quelques-uns au bénéfice d'un dieu... recevant pour le coup, des offrandes biens humaines... L'habitude de l'appropriation mercantile du rituel peut malheureusement lui en faire perdre le sens !



samedi 23 mars 2019

L'errance mentale vue par un taoïste occidental


L'errance mentale
 vue par un taoïste occidental

  
Entre les méditants qui recherchent " des états modifiés de conscience ", l'usage de  mélanges de toute sortes ou antidépresseurs, légalisés ou non, invitant à des voyages hors normes ou d'autres distractions commerciales pour aller voir ailleurs, sans scrupule sur le contenu proposé,  l'éclairage de la philosophie taoïste apporte  une acuité particulièrement actuelle sur l'errance mentale, comme phénomène social ; imposant par la masse d'individus, interrogeant quant à la conscience d'être soi. Entre celui qui se cherche et celui qui ne sait où aller, la recherche d'un ailleurs  paraît forcément meilleure !
Certes, la voie du Tao  nous rappelle que chacun gère son destin de la manière dont il l'entend, mais il nous rappelle aussi que chacun doit tenir les rênes de sa vie, sans se laisser ballotter, sans perdre le sens de celle-ci.

  
l'errance  mentale  due à une  non-communication.
 Selon le chII Du suwen, l'errance mentale intervient quand il y a rupture de communication avec des référents qui n'ont pas été respectés. Les préceptes taoïstes nous orientent vers la  conception d'une bonne santé, lien entre toute chose, unification du corps dans un ensemble cohérent : les cinq organes et leurs fameuses correspondances, entre autre à celle des saisons et intersaison. Si par l'effet de l'homme, les saisons s'emballent, le non sens, la fragilité des consciences apparaît entre les humains, les esprits s'échauffent ou se perdent à l'instar des éclipses de soleil, les consciences ne sont plus lumineuses, elles perdent le nord. Au même titre que les animaux et la nature, l'homme ne s'y reconnaît plus. L'expansion d'un marché économique forcené comme autant de territoires à acquérir malmène et provoquent les foies individuels et leur désir de créativité. Sans créativité le feu du foie va s'enflammer comme un feu de paille dans des actions incongrues. Les volontés de défier la poussée des choses, perturbent l'équilibre naturel. Les courses après le temps dérèglent la pendule des thyroïdes, pour  laisser place à des " bouffées de chaleurs " ou à des sauts d'humeur destructeurs, " le ciel se renverse, la terre se retourne ". Les vents ne viennent plus mettre de l'ordre dans les semences mais détruisent tout sur leur passage enclenchant une cascade de désastres.
Si les cinq organes n'ont plus de contact entre eux, le masculin et le féminin n'ont plus de correspondance, le masculin reste en quête perpétuelle du féminin, le féminin désespère d'attendre le masculin, solitude de l'action incomprise, ou créativité et fécondité non reconnue. L'attente de la complétude inassouvie, la frustration de l'inachevé, le vide total entre le foie et le cœur font souffrir. La fuite de cette souffrance pourrait bien être l'échappatoire d'une situation intenable, pour se rendre compte, dans l'errance, que celui-ci est encore un échappatoire à l'essentiel, le manquement à la communication. Le vide de reins  hésitent entre la fuite et le dégoût de la vie. La rate et l'estomac mal nourris vont penser sans la raison. Le shen, qu'abrite le cœur, recherche fondamentalement le calme ; pour se protéger des agressions externes il va esquiver la situation douloureuse au risque de se retrouver dans une autre impasse, la perte de racines.
" Il est ailleurs, perdu dans ses pensées " ; " il n'a plus les pieds sur terre "; " il a perdu la tête " ; " il n'a plus la tête sur les épaules " ; "  il divague " ; " il dit n'importe quoi "
Le point  3 rate (nommé " le plus blanc ") et le 4 rate (nommé " entre grand père et petit fils ") en acupuncture sont les points signifiants de la prise de terre,  comme s'il était temps de reprendre contact avec la réalité, humain entre les anciens  et les enfants  ou petits enfants, chaînon parmi les chaînons. Le massage régulier de ces points, seraient-il une bonne prévention à l'errance mentale? Vaste programme tellement simple qu'il apparaît simpliste, et pourtant !

Quand la communication entre ciel et terre  n'existe plus, la circulation du chi est pervertie, le mal être est au rendez vous. Habituellement le ciel nourrit la terre par sa chaleur, sa lumière et la pluie, et la terre l'accueille, le féconde, et nous sommes comme  ciel et terre. Ce que veut nous dire le suwen, en nous rappelant cette réalité c'est aussi que le cerveau doit être en correspondance avec le reste du corps. Le savoir doit correspondre au savoir-être et au savoir-faire. Les scientifiques enfermés dans leurs savoirs sans rendre leurs connaissances opérationnelles dans le concret du quotidien, le décalage entre la perception des dirigeants et le peuple, les religieux enfermés dans leur sphère sans  transmettre le fruit de leurs méditations, mais aussi trop de  démarches spirituelles sans véritables incarnations dans le jing de la vie sexuelle, la nourriture s'appauvrit jusqu'au dessèchement des consciences. Cela revient à nier la terre, la sexualité et les autres humains dont ils se désolidarisent et donc s'isolent, ce qui est une autre forme d'errance. Avec une tête encombrée par des désordres émotionnels et des pieds lacérés à force de marcher, en quête d'un oasis,  l'humain avec son mal de ventre, ne peut s'y retrouver, " il ne sait plus à quel saint se vouer ". la schizophrénie , l'homme coupé en deux, peut se développer.  Un astronome aussi performant soit-il, garde toujours un contact, une communication avec sa base, on peut en prendre modèle.

Quand la communication ne se fait plus de l'intérieur vers l'extérieur ou de l'extérieur vers l'intérieur, quand le vent ne devient plus oxygène, l'asphyxie ou l'hébétude annihile le mouvement. Si les émotions ne sont pas communiquées, le mental tourne en rond et se fait son mauvais cinéma, en dehors de la réalité. Mais  si une écoute ne permet pas une régulation, les cris vont s'amplifier en boucle jusqu'à une tension extrême. L'absence de fluidité de ce  chi de communication indispensable provoque l'écartèlement des tissus sociaux. La conscience de l'être aura bien du mal sauvegarder sa dignité si  elle est confrontée à la violence " normalisée " et banalisée dans les rapports sociaux ; humiliations incessantes, harcèlements, esclavagisme moderne au service d'un produit plutôt qu'au service de l'humain, oppositions systématiques à la force créatrice, aliénation avec les endettements...

 Et enfin cette non-communication est encore plus pernicieuse quand l'individu n'a plus le contact avec son propre corps, quand il ignore son sacrum,  il a de grandes chances d'ignorer son  sens des liens sacrés; quand il ignore son intimité, son  lieu de ressourcement, il ne peut connaître ce que lui dit son cœur, sa véritable identité. Les souffles yang ne sont plus en correspondance avec les souffles yin, l'expansion démesurée  se manifeste au détriment des forces souples de créativité. Le mental est happé, capturé par des obsessions obsolètes, la moelle épinière est dévitalisée et déstructurée.

  
De la volonté de créer ou d'organiser l'errance mentale
On pourrait émettre l'idée qu'il s'agirait d'une seule responsabilité individuelle quand un chacun s'expose ainsi à ses propres désordres. Mais on peut se rendre compte que les collectifs, dans toutes les classes sociales par certains comportements sociaux favorisent, organisent méthodiquement la perte de l'unification de l'esprit :
Les assujettissements à des pressions diverses, administratives, fiscales, la violence sociétale considérée comme passages obligé pour être dans la norme ont une logique, pour certaines, qui pourraient bien apparaître comme insensée aux yeux du bon sens;
Les match de foot, devenus des cercles de haines juste pour " s'éclater " en clair pour " se disloquer " prétextant une détente collective en guise de décompensation ou de récompense face à un travail harassant;
Les exploitations sexuelles spoliant  et confisquant ainsi la vie pour le bénéfice des armes toujours plus nombreuses et sophistiquées;
les gaspillages énormes dans d'éphémères festivités;
la folie de l'image et du son où chaque spectateur et auditeur est invité à consacrer du temps juste pour le tuer;
le réseau " salutaire " des  bistrots pour satisfaire l'ennui, là au moins on peut jouer au concours du plus ivre pour être plus viril ou libéré,
le marché des drogues juste pour fuir une société perverse;
Les courses aux soldes comme s'il s'agissait  d'une nourriture absolument  vitale et existentielle ;
les jeux d'argent  juste pour rêver, s'illusionner de gagner  ou se donner une impression de stress  suffisant pour se sentir exister; 
le stress établi comme  la norme inconditionnelle de réussite ;
celui qui est déjà en prison ou encore en hôpital psychiatrique;  ce qui représente un quota de personnes non négligeable;
....Alors" les esprits ne sont plus retenus " (suwen). Manifestement l'esprit a perdu son logis, son cœur. Comme un vagabond a perdu son domicile. Il n'est pas à sa place et ne sait plus tenir la sienne. Celui qui organise comme celui qui s'y prête participent à cette gabegie ab-errante !
La cause et conséquence de l'errance la plus connue reste l'alcoolisme. Cette pathologie résume bien le processus du lien ente le foie, les dépendances  et l'errance : trop de yang du foie, trop de vide des reins. Avec une surpression du foie et un vide des reins l'individu devient survolté ou complètement inhibé, plus de sens à la vie, désabusé seulement, envie de partir parce qu'il ne se sent jamais bien à la place où il se trouve. Le trouble de la vue telle de fausses croyances donne une illusion d'optique : l'alcoolique considère l'alcool comme l'ami le plus sûr pour un coup de pouce compréhensif, mais ce produit prend ainsi le pouvoir en se substituant aux efforts et les joies de la créativité. Poursuivi par des détournements de sa créativité  l'individu n'aura d'autres ressources que d'être acculé à la violence, à la fuite ou à l'errance. Mais les effets et dégâts, à quelques variantes prêts, sont sensiblement les mêmes pour les autres errances : la perte du sens de sa propre identité.
                       
  
Méditation et décorporation.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser on retrouve l'errance mentale également dans les effets de certaines méditations. Toute méditation n'est pas sans danger et tout n'est pas pur non plus dans ce domaine. Quand la  décorporation, considérée comme un exploit en activant et laissant faire l'énergie pour aller dans n'importe quelle direction, la dérive et la déviance mentale ne sont pas loin, à tel point que la psychiatrie l'inscrit dans ses mémoires sous forme de "délire mystique". La méditation taoïste au contraire, accepte d'accueillir la terre et ses difficultés pour  accueillir les forces d'éclairage pour les solutions. Si le taoïste est conscient de la force de la pensée : "Tu es là où es ta pensée",  elle a encore plus de puissance quand elle est dirigée vers un objectif, elle n'est pas sans but. La vacuité, sans être parfaite, est atteinte quand l'harmonie est présente, alors, seulement là,  le méditant peut laisser faire. Bien sûr dans ces moments, il peut faire l'expérience du hors temps. L'énergie au dessus du crâne, ainsi constituée en fœtus éternel peut s'habituer à aller voir tel ou tel lieu ou cadre. Elle ne sort pas n'importe comment, même la nuit sans être dirigée, c'est aussi cela tenir sa vie en main. Le taoïste n'oublie jamais qu'il n'y a pas d'aller sans retour, et qu'il ne peut laisser partir son énergie mentale partir pour atteindre on ne sait quel trou noir, sans y revenir, pour en faire part à son entourage proche pour un mieux être terrestre. C'est la grande leçon du  méridien vésicule biliaire.


  Du bénéfice  de l'errance
On peut se poser cependant la question du bénéfice de l'errance, puisque la tentation de lui rendre visite est quelques fois tentante. Quand cette errance n'est pas elle-même perturbée par des supports médicamenteux, drogues ou alcool, fuite face à l'exigence du miroir de soi, l'expérience du vagabondage peut ramener justement à notre centre. De la solitude on peut espérer une rencontre. Du désert moral il en ressort une nécessité d'élagage entre le superflu et l'essentiel. Les invitations au voyage permettent d'intégrer d'autres cultures mais aussi ses racines. "les hommes bleus" du désert, ou la vie monastique auraient-ils la fonction de rappeler à l'humanité que le voyage de la vie ne peut être confondu avec l'errance? Et que le tao nous invite à prendre notre vie, notre conscience en main, la divagation n'est pas la norme de l'humanité.

  
Le fou et le saint
 Cet étrange parallèle souvent mis en évidence nous laisse  avec beaucoup de questions. Ils ont l'un et l'autre des expériences similaires et cependant différentes.  Le praticien exercé favorisera des techniques énergétiques pour soigner ce qui ressemblent étrangement à ceux des  psychotiques qui cherchent à calmer leurs angoisses existentielle ; la claire voyance du méditant et la médiumnité de l'alcoolique sont souvent confondues ; la réception maximum d'informations d'une manière énergétique ou par l'ingestion de produits peut avoir les mêmes mises en action des neurones. Penser à rien ou capter multiples informations neuronales, vacuité ou concentration. Les petites hallucinations de l'homme ivre ou l'ivresse des ondes alpha; le vagabondage  ou la sagesse du détachement ? 

Le sage préfère taire son savoir et protéger ses prophéties si ce n'est pas le moment de les dire, quand le fou va vouloir les crier à tue-tête de nuit dans une rue déserte ou devant un public qu'il aimera voir affoler par sa violence.
Mais on peut penser cependant que la voie du sage s'avère plus gratifiante  et moins souffrante mais aussi plus exigeante.


samedi 23 février 2019

Elan vital et identité



Elan vital et identité

Elan vital et identité
Les voitures et les bus brûlent. On aimerait demander aux jeunes de stopper leurs bêtises, et certaines bonnes consciences vont réclamer, s'ils recommencent, qu'ils soient « sévèrement » punis. Oui mais ils imitent ! Ils imitent les adultes qui brûlent des vies par leurs guerres pétrolières, qui brûlent les bonnes initiatives par leurs obstructions administratives et financières, qui brûlent les ressources de la terre par leurs acharnements et harcèlements commerciaux pour une extension de territoire, qui brûlent tout ce qu'ils trouvent sur leur passage au nom d'un militantisme exacerbé, qui brûlent leur santé par des comportements aberrants. Les manques de repères ne peuvent être imputés uniquement aux seuls jeunes des banlieues et les déracinements aux seuls étrangers africains. La perte des racines, de la véritable agriculture, donc de la nourriture, de notre vraie nature, ce que la terre nous donne et la méconnaissance de l'Elan vital, ce que le ciel nous donne, pervertissent l'identité de la personne et de l'humanité. La condition de la santé pour les individus et de la paix pour les peuples passe par le respect de l'Elan vital individuel, dont l'expression de créer son œuvre dans un collectif à « taille humaine » va lui permettre de se sentir utile. Garder ou retrouver son identité en se réappropriant le sens de son Elan vital propre pourrait bien être le pari d'une paix intérieure contagieuse. Intégrer son élan vital consisterait à retrouver l'écoute du cœur qui satisfait sa propre cohérence interne : être bien avec ce que l'on est, ce que l'on dit, ce que l'on fait, ce que l'on pense, dans l'espace de son existence, qu'intuitivement et instinctivement on souhaiterait fluide et apaisée.

La propulsion de la force de l'élan vital : l’énergie première.
Une chaleureuse fusion initiale d'un homme et d'une femme a libéré, l'ocytocine, hormone d'amour, dans leur cerveau le plus intime, pour expulser hors de son corps, des milliers de spermatozoïdes pour le père et pour les incorporer encore plus, particulièrement par un ovule pour la mère. Le grand yin, l'apparente inertie de l'ovule, a choisi et accueilli un petit yang, un spermatozoïde et ses petits mouvements. Une incroyable force d'existence naît alors, de cette fusion atomique puissance « n », après un temps et une transformation harmonieuse, continuelle et fluide, sans à-coups. Patiemment, durablement, à la mesure d'un métronome saisonnier, cette suprême énergie, dont les scientifiques n'en ont pas encore fait le tour, va se guider vers son absolu, en développant sa complexité ordonnée. La démonstration de cet événement nous montre qu'une humble et forte réceptivité et des petites actions et mouvements réguliers créent la vie. Par des acquisitions et des petites morts successives, ce potentiel vital s'inscrit dans une chaîne d'humanité, d'apprentissages en transmissions de savoirs. Condamner à aller vers son devenir, la conaissance de soi se décline donc plus par la progression plutôt que par la régression. Ce potentiel nous est donné d'une manière inégale pour chacun de nous et reste cependant soumis à des règles communes et identiques. Initialement chaque ADN, empreinte digitale, unicité, spécificité qui marque notre identité, poursuit la même volonté : certain de posséder et de véhiculer un trésor intérieur, l'être veut vivre harmonieusement en bonne santé, et suivre son mouvement d'expression de son être, quelles que soient les cultures. 

Le Tao ne connaît ni les clans, ni les frontières, ni les cultures. Nous sommes tous construits sur les mêmes structures, les mêmes règles des composantes corporelles et incidences émotionnelles que nous devons apprendre à gérer. Encore faut-il reconnaître ce potentiel. L’Elan vital nous amène à développer ce qui nous est propre, ce qui fait notre identité, ce pourquoi nous sommes faits. L’aboutissement de son œuvre, dans l’amour, dans un collectif respectueux, dans le juste, le bon, le beau, constitue la racine et le projet de chaque individu. Viendra bien un jour où la recherche sur l'ADN ne se contentera plus d'une simple réduction d'une correspondance avec un acte criminel, ou d'un aveu de paternité, pour se plonger dans l'émergence d'un véritable savoir-faire unique, privilégié, délivrant l'orientation professionnelle de l'individu. Le non-respect de cette trajectoire initiale et de son énergie vitale entretenue, entraîne toutes sortes de déviances en termes de maladies, violences, ou autres inadaptations et errances pathologiques personnelles, relationnelles ou sociales.
Nous devons réapprendre à suivre ce courant d’énergie, pour rester en bonne santé mentale et physique. Encore faut-il être à l'écoute de ce potentiel. Ce courant ne peut s'entendre que dans un Coeur recueilli, animé par le sourire intérieur. Plus il est en concordance et en adéquation avec lui-même, plus ce coeur a le sentiment du bien-être, conscient de sa force, de son épanouissement, de sa sérénité dans sa transformation perpétuelle. La clarté du cœur est au plus proche de l’identité.

L'élan premier, entretien de l'énergie vitale, sel de la vie.
Sa vie est mouvement, son mouvement est énergie. L'énergie corporelle, dans ses va et vient, montées et descentes, entrées et sorties, est au service de sa valeur intrinsèque. Elle se distingue dans ses trois appellations : le jing, celle qui correspond à l'élan de la fécondation, et porte le Chi : seconde énergie indispensable, correspondant aux souffles et à la nourriture, alchimie énergétique qui devient elle-même porteuse de la troisième : le shen, la conscience de son existence. Notre responsabilité d'humain est d'entretenir ces trois dimensions. L'Elan vital ne nous est pas donné, une bonne fois pour toute, sans notre effort et notre accompagnement du maintien de notre vie. L'Elan vital doit se transformer en énergie vitale. Si le souffle et le mouvement manquent, le shen, la conscience est perturbée. Inversement un être qui se traîne dans la boue peut retrouver sa véritable conscience, identitaire, par le mouvement et l'entretien de ses souffles. L'unification des trois tan-tien ou foyers que sont la tête et la poitrine, le ventre, le bassin représente l'unification de l'Intention, du souffle, de l'action. De cet effort constant de recentrage et d'entretien de ces trois pôles s'extériorise du plus profond de l'être l'expression unique de son œuvre. A l'image du saunier qui, à partir de son travail de gestion, d'organisation, de filtrage d'un œillet à un autre, avec une patience fluide, sait s'adapter et profiter du soleil, du vent, de l'évaporation de la mer pour extraire le sel, l'Elan vital originel, contenu et transformé par l'énergie vitale, va faire jaillir le joyau de la créativité, pour être en accord avec soi-même. La prévention de la santé commence par le respect de soi qui commence par l'écoute de son élan vital, l'entretien de son énergie et la confiance en celle-ci, pour grandir dans sa conscience et faire éclore son soi existentiel.

Le cycle saisonnier et le respect de la vie
Outre le fait que la naissance s'enregistre sur une donnée saisonnière et énergétique précise, indicatrice de certains comportements appropriés, le parcours d'une vie terrestre, comme chaque action se déroule sur le schéma d’une année avec ses saisons :
-Jaillir et déployer, printemps, début de vie, la réalisation par le jeu ;
-Prospérer et développer, été, jeunes adultes, la réalisation par l'expérimentation et la recherche ;
-Stocker et équilibrer, automne, vie adulte, la réalisation par le savoir-faire ;
- Fermer et thésauriser, hiver, fin de vie, la réalisation par la transmission du savoir-faire et le recueillement.

Le respect du rythme corporel, la reconnaissance de la progression d'une action, à l'image d’un cycle saisonnier, l'adéquation de l'activité avec son identité propre, renforcent l'accomplissement de l'œuvre, l'inverse va vers sa destruction. Non seulement il est nécessaire de ré-alimenter son mouvement initial de naissance, non seulement, il est nécessaire d'unifier ses trois tan-tien, non seulement il nous faut écouter la voie de notre cœur qui correspond à notre identité propre, mais encore faut-il respecter les rythmes de bases, d'activité et de repos, de nuit et de jour, de réflexion ou d'action, de naissance ou de mort. Le respect de l'identité, de l'oeuvre, du rythme de chacun consolide le lien et la concordance sociale. Ces balises du suwen ainsi présentées, il nous est facile de repérer ce qui n'est pas tout à fait conforme à notre vraie nature dans les violences quotidiennes que nous choisissons ou subissons.

A quoi tu uses ton énergie ?
La volonté de paix intérieure, l'apaisement du mental quand le cœur est en affinité complice avec lui-même, c'est à dire avec le Tao, ne correspond pas toujours, loin s'en faut, avec les dictats d'un système bancaire, fier de ne pas être philanthrope, c'est à dire de ne pas aimer les humains. La norme sociale imposée par la loi du marché, du plus riche qui se croit le plus fort, dénature violemment les rythmes, la loi du cœur, et donc blesse les « shen » individuels et donc les consciences. Les temps de prises de recul peuvent nous conduire à un discernement plus élaboré pour une plus grande relation intime avec nous-même.

Une société qui dénie l'existence du courant vital, de l'œuvre personnelle à accomplir, de cette profondeur de la conscience individuelle à se réaliser, perd ses racines et se rend malade, tourne le dos à la créativité pour développer et organiser du gâchis humain. Le détournement, la destruction, l'usurpation, de l'énergie vitale, au profit d'un produit, la parole de l'argent à la place de celle du cœur ne peut qu'engendrer haines et violences, souffrances et maladies.

Il n'y a pas que la société anonyme pour perturber le bon sens des choses ! Chaque personne peut s'y employer. Mais en général, si elle prend ce chemin c'est qu'elle a pris pour argent content ce que sa génération instructrice lui a demandé de croire : le bien fondé d'une malhonnêteté intellectuelle, la croyance d'un hypothétique bonheur dans la compétition pour une consommation surajoutée. Elle ne prend pas le temps de regarder à quoi elle use sa propre énergie, perdant ainsi le fil de son essentiel. Son existence ne semble plus avoir de valeur à ses propres yeux, en s’avilissant à une dépendance arbitraire.

En continuelle déstabilisation dans sa marche vers son devenir, l'adulte est invité au recentrage, c'est à dire à la vérification de son harmonie existentielle avec son diapason, son « LA » originel, son élan vital. Faut-il rappeler que Ming-men, lieu énergétique de la colonne vertébrale situé entre les lombaires 3 et 4, se traduit ”porte du mandat céleste”. Loin d'être une figure de style pour faire joli, il s'agit d'une véritable force qui pousse à l'accomplissement de son destin.

Pour se réapproprier le contact avec son Essence, certaines approches favorisent cette expérience singulière d'être “juste” avec soi, avec ses ancêtres, son potentiel, et sa responsabilité d’être: la synthèse après une méditation, le massage taoïste, l'écriture, l'expression par l'argile, la peinture, la musique et la création sans jugement ainsi que l'écoute des rêves.

L’écoute du spontané innocent bref l'accueil d'un grand Yin, la confiance en son énergie et la mise en oeuvre d'un petit Yang, la volonté de se sortir de son marasme et de retrouver son être, son identité par de petits mouvements. Respecter son énergie qui ne demande qu'à vivre, mettre en forme son être profond, accéder à ce quelque chose d'intime, qui nous aspire à ce quelque chose qui nous dépasse, et qui rejoint tous les êtres.