jeudi 3 janvier 2019

Le Juste Milieu Taoïste




Le Juste Milieu Taoïste


Considérer que le juste milieu serait l'harmonie à atteindre dans tous nos mouvements et actions pourrait porter à rire tellement cette lapalissade  peut paraître évidente dans notre recherche personnelle ou sociale, mais tout aussi incongrue dans l'observation de notre environnement actuel national et mondial. La réalité nous montre bien, la difficulté et la complexité à l'atteindre. Comment rester au centre de nous-même devant les différentes dualités ? Comment garder notre cohérence interne face à nos propres contradictions ? Comment vivre nos émotions et mesurer nos passages à l'acte ? Etre un centre, au  juste milieu, observateur et acteur,  de différents environnements et réalités, telles sont les  réflexions auxquelles nous sommes conviés par la rate-estomac.

La  rate
La rate, l'élément terre, interstice entre chaque saison, lieu de la gestion et de l'organisation de la pensée, a cette conscience interne et profonde de l'équité, de l'égalité qu'il ne suffit pas d'inscrire sur les frontons pour qu'elle existe. Les mouvements sociaux pour un retours à la terre, un  commerce équitable traduisent en même temps un désir de calme mental, face à toutes les agitations et saturations en tout genre, d'un monde fou, et un désir d'équanimité dont on sent intérieurement le bien fondé de ce bon sens. Un nécessaire bon fonctionnement de la terre et de la rate.

La conception de la pensée, qui s'inscrit dans la rate, passe par une gestion de la parole, le chi de la parole va mesurer la réflexion et les sensations dues à l'effet de celle-ci sur autrui. Le contrôle du souffle et de la salive y contribuent « tourne ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler » dit le dicton populaire. Apprendre la force de sa parole et de son débit pour se faire entendre pourrait bien être le premier élément de base de la non-violence. Le veilleur de la rate-estomac est sans cesse en train de mesurer ce qui rentre et ce qui sort, aliments, paroles, air. Le juste milieu n'aime pas les extrêmes et relie les apparentes contradictions.  Ce diplomate saura combiner les plans avec sagesse tout en analysant les tenants et aboutissants  en profondeur. La parole juste porte beaucoup plus que les dérives verbales.  La digestion et la gestion du dit ont des points communs. Les discours comme la nourriture vont être dilués et malaxés pour être compris, organisés et dispatchés. L'appréciation des conjonctures et son adaptation aux temps et aux circonstances construiront la pensée. La matière grossière se transformera en information subtile. Pour autant, on doit tenir compte que l’on n’est pas pour grand choses dans l’émergence de la parole : pourquoi cette parole la, ces mots la, en ce moment ci face à cette personne là ?




Le milieu de l'entre deux
En bien des circonstances il nous est demandé de choisir entre une situation et son contraire ou son opposé. L'équilibre de la pensée-terre n'aime pas cette clause d'un langage et d'une pensée binaire. La troisième alternative de cet entre-deux rend cet espace beaucoup plus satisfaisant, pertinent, fécond et donc créateur et unificateur. Plus qu'un compromis, il s'agit d'une nouvelle manière  d'être et de voir les choses, la pensée ternaire.
L'espace du vide entre deux pas dans une marche donne le mouvement, l'entre deux des cuillérées compose le repas, la limite de la flamme d'une bougie et l'air, donne la lumière et chaleur, le silence entre deux pensées transmette la consistance du discours, le tempo entre deux actions permet de retrouver son souffle. La combinaison de deux réalités en nomme une troisième.
Ni trop, ni trop peu  pourrait être la devise de cet équilibriste. Parler sans trop en dire ne veut pas dire se taire. Entre le jusqu'auboutisme ascétique qui va jusqu'à la dénégation des besoins essentiels du corps et le débridement d'une sexualité marchande; la recherche d'une qualité de vie a toute sa place.
Cet éclairage  de la juste mesure pourrait donner une autre luminosité à notre terne quotidien.
Ni 35 heures, ni 72 heures (ou plus) mais à chacun son effort et son rythme,
ni anonymat ni ouverture sans défense, mais le respect et la réserve,
ni zapping relationnel ni engagement à vie, mais un contrat temporel toujours à renouveler,
ni inévitablement individuel ni obligatoirement collectif, mais un va et vient constant d'énergies constructives dans un apport mutuel,
ni esclavage au travail dopé ni aliénation du chômage dépressif, mais une écoute de ses pulsions créatives,
ni trop vite (accélération) ni trop lentement (stagnation) mais la fluidité qui suit les cycles,
ni trop de sommeil, ni trop de travail, mais respect de l'alternance qui donne un sens,
ni l'ennui de l'inactivité, ni l'attente douloureuse de quelque chose qui ne vient pas, mais l'accueil actif de ce qui est,
ni complaisance morbide dans un passé qui ne peut se refaire ni désenchantement devant un avenir que l'on ne maîtrise pas, mais tirer parti des leçons du passé pour construire sa responsabilité, un ici et maintenant en devenir,
ni l'étouffement des émotions, ni le déversoir impudique et violent à tout moment, mais une gestion de ces énergies qui permette un enrichissement personnel d'une conscience toujours plus lucide,
ni seulement yang ni seulement yin mais le mouvement de la vie.
Loin de nous déclencher des angoisses devant le nouveau et l'inconnu, cette  forme de lecture, rappelée par la fonction de la rate-estomac, nous accorde à notre bien-être intérieur. Chaque réalité duelle peut ainsi être visitée dans le souci de l'équilibre, de l'harmonie.

Le milieu de l'entre  trois
Le juste milieu évoque également une autre dimension, celle d'être au milieu des trois foyers, le foyer supérieur  habitacle du schen de la conscience d'être soi, et qui inclut la tête et le cœur, centre privilégié de l'intelligence et l'intention; le foyer moyen, le lieu du chi qui englobe poumons, foie, rate, abdomen, centre privilégié des émotions ; le foyer inférieur référence du jing qui anime les reins, le bassin et les quatre membres, centre privilégié de l'action. La dynamique du juste milieu voudrait que ces trois foyers, composants la personne humaine, se réalisent dans toute leur potentialité mais, en même temps et non pas, un élément au détriment des deux autres.  Ce qui nous autorise à concevoir  dans une  Unité, la vision de l'enrichissement mutuel du cerveau, des émotions et de la sexualité.
On voit mal un savant restant dans sa tête sans communiquer son savoir et sans que celui-ci passe par l'émotion de la joie de le partager...Il peut en devenir fou tellement il crée une énergie inutile. On n'accorde pas non plus crédit à l'hyper-sensibilité émotionnelle qui en oublie son intelligence ou qui exploite sa focalisation émotionnelle pour ne pas agir. Le plus gros chiffre d'affaire vampirisé par l'action et l'appât du gain devient vraiment insolent et désuet quand  sa logique lui fait perdre sa raison et sa liberté et qu'il dessèche son cœur, il perd  son humanité et celles des autres, comment un être intelligent peut-il être inhumain ?
L'unité de ces trois foyers, conscience, émotions, action va guider  la perception de l'être, du singulier au pluriel. Construire son oeuvre, construire et « faire » l'amour, construire et fluidifier le collectif  : Du Un ,il fait le deux et engendre le trois. L'humain, la solidarité, l'environnement. La personne ne peut être réduite à n'être qu'un travailleur (action) ou qu'un consommateur (guidé par l'émotionnel) ou qu'un aspirant religieux (spirituel). Les trois facteurs doivent être passés au crible du juste milieu dans l'unité. L'erreur de ne retenir qu'un élément entraîne dérives et dysfonctionnements pathologiques de l'individu, de la société, de l'environnement.


Le milieu de l'entre  cinq

Le juste milieu évoque aussi la résonance d'un centre au milieu  des cinq émotions essentielles : colère, haine, soucis, tristesse, peurs. La variation des humeurs est en quelque sorte normales. Ce sont les excès répétés dans l'intensité ou dans la durée qui stigmatisent l'aspect pathologique. Dans ce cas, la certitude intérieure que les bornes sont dépassées, voudra ramener le mental à plus de quiétude. Se tenir au centre de ces fluctuations est bien sûr un de nos défis de notre humanité. Une présence à sa conscience.
Une réponse juste se manifeste au-delà des émotions mais ne peut se passer d'elles. Comme l'inter-saison, la rate, la pensée intervient dans l'entre-deux des émotions contrastées, pour en mesurer les trop pleins et les trop vides, ce qui est nourrissant de ce qui ne l'est pas dans l'apport émotionnel. Intuitivement elle connaît la différence entre chaque émotion comme elle sait différencier les saveurs. Comprendre la cause d'une bousculade émotionnelle permet une régulation. Mais tant que les mots n'ont pas pris corps, l'énergie se manifeste à l'état brut. La succession de charges émotionnelles, sans arrêts est très épuisant et douloureux, la stabilisation relative, toujours en mouvement et en quête d'équilibre, réorganise le flux de l'essentiel. L'intégration d'une émotion ne peut faire l'économie du temps. La valeur du silence, la respiration lente, la retraite, favoriseront l'apaisement des émotions, qui ne peut être confondu avec leur anesthésie, retrouvent alors tout leur sens. La quiétude mentale se reconnaît comme le repos physique, ça fait du bien quand la tempête s'arrête !
Mais là encore, il conviendrait que le juste milieu ne soit ignoré : l'ermite devrait revenir dans la vallée où il a le devoir de retransmettre ce qu'il a compris de  cette prise de recul. Il n'y a pas d'aller sans retours.

Le milieu  de l'entre  huit

Le milieu juste, la parole juste se nourrit également de sa position de centre au milieu du paqua, huit forces symbolisées par  des signes (un grand trait pour le yang et deux traits pour le yin) dont l'adjonction transmet une nouvelle signification transmise et initiée dans le Yi King. Ces forces se retrouvent dans la nature comme dans le corps et le psychisme, l’eau, le feu, le tonnerre, le vent et le bois, la terre, le ciel, la brume, la montagne. Le tant tien en dessous du nombril,  lieu de recentrage, de concentration de ces énergies,   accordera l'intérieur individuel et l'extérieur relationnel au diapason de la juste force. Le soliste donnera la force adéquate à son chant à partir de ce centre, comme devrait être mesuré chaque relation.
Le développement personnel pourrait bien alors consister en l'observation des forces en présence, le ressourcement d'énergie nécessaire dans ce lieu du Tan Tien, l'intégration de ces dualités (créativité et disponibilité -intériorisation et vivacité – profondeur et rigueur -impulsion et endurance) et l'expression mesurée de son souffle dans un passage à l'acte transformateur de son environnement.

le milieu  du multiple
Tiraillé entre le respect de la puissante pulsion de son élan vital, la tension pour garder son rythme, et la confrontation aux pressions extérieures, chacun  va rechercher sa cohérence interne.
Le juste milieu nous ramène à notre humble pouvoir, dans un réseau d'interconnexions, relationnelles, événementielles, incitant multiples variations d'humeurs, dans un faisceau de synchronicités, dans des poussées d'énergie en continuelle transformation. Le juste milieu est une invitation à rester en contact avec notre unité profonde et à comprendre que l'autre est en tout point semblable quelques soient les latitudes. La vacuité et le silence affinent le respect de soi-même. C'est sans doute en ce milieu que le juste social peut trouver du sens.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire